Suellen peinait à suivre le rythme de Paul, qui ne faisait plus attention à elle. En s’avançant vers l’église, il faisait le point sur sa propre situation et sur celui qu’il venait de trahir : Oleg. Le violoncelliste l’avait approché quelques années plus tôt et l’avait convaincu de travailler pour lui. Paul n’avait pas eu le choix : Oleg savait que Paul droguait son ami Steve, lors de soirées bien tardives, afin de profiter, à son insu, de sa chair divine. Il le faisait chanter. Le boulot de Paul consista d'abord à surveiller les faits et gestes de Steve, à prendre discrètement quelques clichés et à rédiger un rapport précis, quasiment quotidiennement.
Par hasard, un jour, Paul avait appris qu’Oleg travaillait pour Vladimir, un mafieux ultra violent de Moscou. Le soviet cherchait une fille : Sally, qu’avec Oleg, ils appelaient l’ « héritière ». Ils la trouvèrent.
Oleg apprit alors à Paul que c’était la fille de Suellen et de Vladimir. La mission de Paul fut désormais d’amener Suellen, qu’il connaissait vaguement, à rechercher Sally, et à la reconnaître comme sa fille.
Paul avait alors fait des recherches de son côté. Le véritable prénom de Sue était Selena. Elle était la fille du professeur Nicolaï Sarkösky, directeur de recherche sans gloire à l’Institut de Biologie et de Physique Générale de Sverdlovsk, au début de la guerre froide. Après sa mort prématurée dans un accident, sa femme avait migrée à Paris et Selena, âgée de 2 ans avait prit le nom de Suellen.
Avant ce matin, Paul n’avait jamais envisagé que l’histoire prendrait une telle ampleur et qu’il avait mis son ami dans une belle merde. Steve, son meilleur amis, son amour impossible, était en danger et manipulé. Il était lui aussi, par adoption, l’ « héritier » de Nicolaï Sarkösky.
En marchant vers Alesia, Paul décida définitivement qu'il n’avait plus du tout envie de suivre les ordres d’Oleg, et se demandait comment il allait le payer.
En tournant dans l’étroite ruelle, le petit homme aux cheveux rouges ne vit pas la carcasse de la saxo, qui semblait faire partie de ce paysage urbain dégradé. Mais il fila directement caller son audi en double fille à côté de l’eglise d’Alesia. Traversant la rue, il envoya un texto à John Keller « Pol é sue arivé alésia. Attendon l’éritié ». Brusquement, alors que son cellulaire envoyait le bip de confirmation du message envoyé, il fut percuté par un marchand de frittes ambulant en mobylette, ramassé par deux grosses mains et poussé à l’arrière d’un taxi. Sonné comme un troisième ligne après la charge d’un rugbyman néo-zélandais, mais refusant la défaite, il releva la tête. Une voix s'éleva : J’avais prévenu, on ne s’occupe pas de mes affaires.