Non seulement le titre me plait, mais il me retient.
J’avais déjà aperçu quelques images à Madrid il y a un an en été. Mais au Musée du Jeu de Paume à Paris le travail de Irina Botea fait l’objet de deux présentations complètes jusqu’au 27 septembre prochain. Deux films se succèdent ; le plus ancien intitulé « Auditons for a Revolution » date de 2006 et met en contre point ou plutôt en contre plongée des images des « événements » de 1989 et le jeu incertain, malhabile et même « étranger » de jeunes gens à qui l’on donne à lire – à Chicago - le texte des images télévisées de l’époque : des soldats dans les rues, des manifestants qui défilent avec un drapeau nouveau-né, la prise de la télévision d’Etat où l’on retrouve Ion Caramitru face à la caméra, pas celle d’un film de fiction, mais celle du direct, des ouvriers émus dont le leader sort de sa poche un cœur rouge, des portes qui s’ouvrent et un quasi « jeune premier », Ion Iliescu qui entre en scène.
Faut-il seulement regarder, ou bien relire, revivre ? Faut-il mettre à distance et soupoudrer d’humour ? Y a t il un déni de mémoire à faire en sorte de replacer les symboles là où ils se sont évanouis, dans la confiscation du pouvoir ?Est-ce que, au fond, toute cette agitation ne devient pas une sorte de roman pour les jeunes de vingt ans qui se demandent en prononçant les mots s’ils peuvent croire à ce qu’ils voient et ce qu’ils perpétuent dans une atmosphère un peu délirante ?
La force d’Irina Botea est bien entendu de ne pas se prononcer ; de ne pas marquer son opinion. Elle ne déclare ni ne déclame ; elle délimite simplement un terrain ; au moment où la terre a tremblé, là où elle a tremblé. Quelles sont donc les traces vivantes ?
Le second film est tout récent, « Before a National Anthem » date de ce début d’année. Un groupe de poètes et de compositeurs ont réécrit les paroles et la musique de l’hymne national roumain. Les variations sur thème donnent à lire des mots, les extraient, les hachent menu, puis les remplacent progressivement par des noms de lieux, de villages, des trous perdus dont personne n’a jamais entendu parler… ”si, je me souviens, ma grand-mère habitait là”, dit un jeune chanteur de vint ans. Alors, où se trouve situé le réel ?
A quoi s’accroche en effet l’idée de nation ? Comment les symboles les plus frustres deviennent-ils des chants de victoire, des chants identitaires ? Et pourquoi ne pas chanter l’annuaire des postes pour revendiquer le droit du sol, le droit du sang ?
Beaucoup de questions, on le voit. Irina Botea n’a pas quarante ans. Ce qui veut dire qu’elle connaît mieux que ses acteurs ou ses chanteurs, le moment de bascule où la farce est devenue tragédie. Et elle le dit sans ostentation, mais de manière têtue.
Deşteaptă-te, române !