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Stalker : le passeur

Publié le 12 août 2009 par Scienceblog
« D

u bonheur pour tout le monde, gratuitement, et que personne ne reparte lésé ! ». Dernière phrase écrite par Boris et Arkadi Strougatski dans leur livre « Pique nique au bord du chemin« , plus communément nommé « Stalker« .

Je referme ce livre les larmes aux yeux, comme à chaque fois,plein de mes rêves d’adolescent, d’envies oubliées, de frustrations refoulées. Ca aurait à voir avec les sciences ? Rien n’est  plus sur. Quoique …

L’adaptation de Andrej Tarkovski, très catholique, et malgré sa beauté formelle fulgurante, m’a toujours paru incomplète, moi l’athée de base. Peut-être les auteurs me parlent-ils de scientifique à scientifique (Arcadi Strougaski est mathématicien et physicien, Boris spécialisé en langues orientales). Ils évitent tout mysticisme facile et ne recherchent qu’à raconter l’homme, son besoin de connaissances, et aussi son incomplétude face aux petites choses qu’il produit. Mais laissez-moi vos raconter …

Il existe sur Terre une zone. Des visiteurs venus d’ailleurs y sont venus faire une courte pause, sont repartis, et y ont laissé leurs déchets : des trucs magiques dont personne ne comprend l’utilité, peut être des emballages de MacDo extraterrestre, des jeux perdus, des téléphones portables oubliés. Ce sont des objets usuels, mais pour l’homme, ils produisent le bonheur, la mort, la souffrance. Il ne sait rien sur eux, ne les comprend pas, se brûle les doigts. Alors qu’il pensait comprendre l’Univers, il se sent tout d’un coup petit comme une fourmi lorsque, les visiteurs repartis, il visite à son tour le décor de cette pause trans-galaxique. Cette zone devient LA zone, mythique : radioactive, pleine d’objets incompréhensibles, à la fois merveilleuse et pleine de dangers. On pourrait en avoir une vison romantique, mais les frères Strougatski nous emmenent dans une bien triste réalité : voilà l’homme dans toute sa complexité. Il veut comprendre ce nouvel univers fabriqué d’un deux ex machina improbable, il veut voir et entendre du nouveau, il veut bénéficier de cette manne mythologique tombée du ciel, il veut en faire du bizeness, il veut tout. Mais cette toute nouvelle réalité le change, le mute, et ne se laisse pas faire …

Ce livre est bien peu connu face à ses adaptations ,cinématographique (culte au bon et mauvais sens du terme) et jeu vidéo (pleines d’armes et de tueries). Une recherche sur Internet montre que le mot « Stalker » renvoie à une idéologie de fin de monde : l’accident nucléaire tragique de Tchernobyl bien sur, même si le livre fut publié bien avant l’évènement (1979). La « zone » est l’allégorie d’un monde face à sa propre destruction, le produit d’une technologie à double tranchant. Dans ce parallèle, le « visiteur » peut être considéré comme l’homme lui-même qui ne comprend ni ne contrôle assez la technologie dangereuse à qui il a donné jour. La race humaine en entier devient alors Prométhée : condamné à être attaché sur son rocher parce qu’il avait appris aux humains l’art de la métallurgie, des aigles lui mangeaient le foie chaque jour que Zeus fait (mais je m’éloigne de la pythologie là, Zeus n’a jamais fabriqué un seul jour). Ainsi, l’attachement de l’homme à la technologie qu’il crée le fait souffrir éternellement.

Les deux frères parcourent un autre chemin. A la question « Qui sont ces visiteurs », l’hypothèse du « pique-nique au bord du chemin » – le titre russe original du livre – est vite dévoilée. Peu importe d’où viennent ces étranges objets que tentent de trouver collectionneurs, truands à la petite semaine ou pauvres hères en déshérence. Ces « choses » qu’on ne comprend pas, un peu comme des fourmis qui trouveraient une boite de coca-cola sur leur chemin, deviennent les uniques clefs du bonheur des hommes. Et peu importe si ces objet apportent le bonheur parfait ou la mort sure, l’obsession de cette recherche est le moteur fondamental des hommes qui vont dans la zone. De retour dans la vie normale – si ils reviennent, leur trophée sous le bras, ils parcourent le monde brandissant la preuve de l’existence de la zone.

Stalker est la traduction anglaise du « pique-nique au bord du chemin », elle signifie « Le passeur ». Il s’agit du personnage principal de l’histoire, dont le rôle est de guider les gens à travers la zone. Pour lui, il ne veut rien, il aide juste les autres à trouver ce qu’ils cherchent. Sa connaissance du terrain, des dangers, des entrées, éventuellement des façons d’y entrer ( la zone est interdite par l’armée), en font un guide averti. Mais pourquoi aide-t’il ces gens ? Ses motivations sont ambigües, mais il est le « passeur de bonheur », ne refusant rien aux gens qui recherchent dans la zone leur graal, leur fantasme absolu. Et tant pis si tous en souffrent, tant pis si lui-même n’en ressort pas indemne (ses derniers mots sont logiquement suivis de sa mort), tant pis si sa fille ouistiti n’est pas comme les autres à cause de ses visites ininterrompues dans la zone : le passeur de bonheur, c’est lui.

Alors, quand ses derniers mots sont : »Du bonheur pour tout le monde, gratuitement, et que personne ne reparte lésé ! », moi, je fonds. La quête du savoir, ce n’est pas un péché, ce n’est pas une justification en soi, ce n’est pas réservé à quelques uns. La quête du savoir, c’est le bonheur.


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