Le réchauffement climatique et les pauvres

Publié le 12 août 2009 par Unmondelibre

Bret Stephens – Le 12 août 2009. Une chose assez drôle s'est produite sur le chemin du sauvetage des pauvres du monde contre les ravages du réchauffement de la planète. Les pauvres ont en effet dit aux alarmistes du climat de les laisser en paix.

Ce printemps le Global Humanitarian Forum, basé à Genève et dirigé par l'ancien secrétaire général des Nations unies Kofi Annan, a publié un rapport avertissant que « la famine, les migrations et les maladies » seraient à craindre en masse si le monde n'adhérait pas à « l’accord international le plus ambitieux jamais négocié » sur le réchauffement de la planète lors d'une prochaine conférence à Copenhague.

Selon le rapport de M. Annan, les catastrophes induites par le changement climatique représentent 315 000 décès chaque année et 125 milliards de dollars de dégâts, ces chiffres devant être portés à 500 000 morts et 340 milliards de dollars de dégâts en 2030. Ces chiffres sont vivement contestés par l’expert en tendances des catastrophes de l'université du Colorado, Roger Pielke Jr., qui les qualifie de « symbole de désinformation par les statistiques. »

Mais il y a plus. La protestation la plus intéressante a eu lieu à New Delhi le mois dernier, lorsque le ministre de l'Environnement indien Jairam Ramesh a répliqué à la secrétaire d'État américaine Hillary Clinton en visite, que sous aucun prétexte l’Inde ne signerait un accord mondial pour le plafonnement des émissions de carbone.

« Il n'y a tout simplement aucune raison pour que l’on nous pousse à la réduction des émissions, nous qui avons des émissions par habitant parmi les plus basses », a répondu M. Ramesh à Mme Clinton. « Et comme si cette pression ne suffisait pas, nous sommes également confrontés à la menace de taxe-carbone sur nos exportations vers des pays comme le vôtre. » Les Chinois — les plus gros émetteurs de CO2 — ont dit à l'Administration Obama essentiellement la même chose.

Environ 75 % des Indiens — quelques 800 millions de personnes — vivent avec 2 dollars par jour ou moins, ajusté en fonction des parités de pouvoir d'achat. En Chine, c’est d'environ 36 % de la population, soit environ 480 millions de personnes. Cela signifie que les deux gouvernements sont à eux seuls responsables d'une personne sur deux vivant à ce niveau de revenu.

Si le changement climatique est aussi menaçant que ce que M. Annan l'affirme, l'Inde et la Chine devraient se ruer à Copenhague. Mais ce n’est-ce pas le cas : pourquoi ?

À écouter les alarmistes du climat, tout est la faute de l'Amérique. « Ce dont les Chinois sont surtout coupables est l'imitation du modèle économique américain », écrivait l'écrivain Jacques Leslie l'an dernier dans le Christian Science Monitor. « Les États-Unis ont perdu l'occasion qu’ils avaient au début de la transformation économique de la Chine d’orienter cette dernière vers le développement durable, et les dégâts sont déjà incalculables. »

Les faits relatent une autre histoire. Lorsque Deng Xiaoping a commencé à introduire des éléments d'économie de marché en 1980, l'espérance de vie des Chinois à la naissance était de 65,3 ans. Aujourd'hui, elle est d'environ 73 ans. Les chiffres sont probablement un peu gonflés, comme la plupart des chiffres en République populaire, mais la tendance est indéniable. En Inde, l'espérance de vie est passée de 52,5 ans en 1980 à environ 67 ans aujourd'hui. Si cela est une conséquence de l’adoption du « modèle économique américain », alors les pays pauvres en ont bien besoin.

Mais que dire de la pollution en Inde et tout particulièrement en Chine ? Selon les dires de M. Leslie, les émissions de gaz carbonique font partie intégrante de polluants comme les particules fines, les déchets toxiques, et tout ce qui est typiquement associé à une dégradation de l’environnement. Mais cela est faux. Les États-Unis et la Chine produisent des quantités équivalentes de dioxyde de carbone. Mais essayez de nommer une ville des États-Unis dont la qualité de l'air est aussi mauvaise, même de loin, qu’à Pékin, ou une rivière américaine aussi polluée que le Han: vous ne pouvez pas. L’Amérique, le pays le plus riche et le plus industrialisé, est aussi, de loin, plus propre.

Les gens qui vivent dans des pays du tiers-monde (comme le Mexique, où j'ai grandi) ont tendance à comprendre cela, même si les écologistes occidentaux ne le comprennent pas. Les gens qui vivent dans les pays oppressifs du tiers-monde, comme en Chine, comprennent aussi que ce n'est pas seulement une plus grande richesse qui conduit à un meilleur environnement, mais aussi une plus grande liberté.

Pour revenir à M. Leslie, son grief envers la Chine est qu'elle est devenue une société de consommation, suivant encore le modèle américain. Leslie est encore dans le faux : la Chine est l'un des pays avec le taux d’épargne personnelle le plus élevé du monde — 50 % contre 2,7 % en Amérique. La véritable source du problème de pollution de la Chine est une politique industrielle dirigée par l’État et axée sur la production, ainsi que des entreprises d'État (en particulier dans les secteurs « sales » comme le charbon et l'acier) qui s'efforcent de répondre à des quotas de production, avec des gestionnaires nommés par l'État qui n’hésitent par à faire des économies en matière de sécurité ou de respect de l'environnement, et ont généralement assez d'influence politique pour se protéger de toute retombée publique.

En d'autres termes, les problèmes de pollution de la Chine ne sont pas liés aux politiques de laisser-faire et au consumérisme persistant, mais au contrôle excessif de l'économie par le régime. Une Chine plus libre signifierait une Chine plus propre.

Il y a ici une leçon pour ceux qui croient que les problèmes d'environnement appellent à une nouvelle ère de dirigisme. Et il devrait aussi y avoir une leçon à tirer pour ceux qui prétendent comprendre les problèmes des pauvres mieux que les pauvres eux-mêmes. Si le réchauffement de la planète est vraiment aussi catastrophique que ce que les alarmistes le prétendent, le moins qu'ils puissent faire pour ses victimes est de ne pas les traiter avec condescendance, tout en les appauvrissant dans les négociations.

Bret Stephens est éditorialiste au Wall Street Journal, dans lequel cet article a été originellement publié.