Textiles textuels

Publié le 12 août 2009 par Noug
Le monde ne me convient pas. Il ne m’a jamais convenu. Il ne me conviendra jamais. Il est trop petit pour ma grandeur d’âme. Je suis contraint de faire des ourlets à ma générosité, des plis à ma naïveté, des retouches à mon désir de Fraternité. Je travaille à l’ancienne, avec une vieille machine à coudre que ma défunte grand-mère m’a léguée.
Ah ! Chaque jour qui se lève est une piqûre dans ma peau. A quoi bon lustrer mon profil, me satiner la façade, m’habiller avec des vêtements repassés, si mon cœur, lui, est une guenille chiffonnée par la douleur!
Dans cette vaste usine humaine de l’apparence industrielle, je me sens à l’étroit, étriquée de tout part. J’ai beau faire des efforts, mais je ne trouve pas ma taille, quelque que soit le prêt à porter. Les messieurs aiment ma pelote, ils n’ont d’yeux que pour mon soutien gorge. Et moi, je leur crie à gorge déployée que j’ai besoin de soutient, tout court, avant toute chose! Les dames me jalousent, car j’ai une ligne qui les complexe. Moi je complexe d’avoir une ligne de conduite: la beauté intérieure. Je suis sans cesse en porte à faux. Il semble qu’on ne me laisse guère le choix: être une jolie silhouette qui excite les mâles en rut exorbités de libidos, ou alors, une aiguille qui pique à vif les envieuses vanités féminines. Chez les premiers, je provoque la pulsion bestiale, l’attirance charnelle ; chez les secondes, je déclenche la frustration, l’instinct migratoire. D’un côté j’attire, de l’autre je repousse… et cela à mon insu. Pile ou face, dans les deux cas, je suis perdante ! J’ai le sentiment d’être une extra-terrestre qui s’est trompée d’univers, égarée dans un monde humain au langage exclusivement corporel et vestimentaire.
Je suis là, assise sur la terrasse d’un café à observer le défilé des physionomies. Le patchwork est éloquent : des femmes férocement maquillées, des hommes sauvagement costumés, des enfants outrageusement nippés ! La jeunesse n’est pas en reste non plus: des strings pour les poules, et des jeans taille basse pour les coqs.
Fiers de leur étoffe, les épidermes sont vêtus d’un textile artificiel, la démarche est synthétique, mais les âmes, sont miteusement effilochées. Je le sais. Je le sens. Les visages ne trompent pas. Ils font semblant d’avoir bonnes mines. Les garde-robes sont des gardes fous. À défaut d’être heureux, soyons bien habillés ! Bigre ! A quoi diable, cela sert-il donc, de faire partie d’un tissu social et urbain, si nous sommes incapables de communiquer autrement, que par des tenues et des postures fashionnement corrects ? S’il m’arrive de céder à l’attrait du style, c’est par dépit. Sinon, je suis seule et je m’ennuie. Mais ma nature laineuse a vite fait d’en découdre avec la coquetterie collective. Question de fibre ! Question de chas !
Excédé par le «m’as-tu-vu... non je ne te vois pas... mais si regarde bien !» général, j’ai décidé de prendre mon dé à coudre en main, et passé une annonce dans un journal local, A LA MITAINE :
Mademoiselle Falzar, cherche à confectionner des relations sincères et durables, à tisser des liens solides et authentiques, afin d’entretenir de vrais rapports. Mon but étant de créer une mercerie amicale et fraternelle, une communauté de fils et d’épingles, originales, à contre-courant de nos habits-tudes de vie. Si ma couture vous intéresse, laissez vos bobines au journal qui me les transmettront. Merci.
P.S: braguettes ouvertes, s’abstenir !
Une semaine plus tard, je reçois deux réponses de la part d’un certain Tricot, et d’un certain Baggy, et d’autres retours anonymes pour le moins inattendus :
«Rhabillez-vous impudique ! La débauche de vos sentiments est scandaleuse !»
«La Vie ? Un souffle qui remplit le vide de nos vêtements. La Mort, elle, nous déshabille !»
«Votre annonce m’a touché et je souhaite vivement vous rencontrer... je suis un écorché vif et mon cœur est sans cesse décousu par les mains de la mode !»
«Vous avez raison ! Habillons l’humanité du pull de l’Amour et du pantalon du Respect !... Allons-y ! Soyons fous !»
«Nous organisons la fête du SLIP tous les mois... Tenue incorrecte exigée ! Nous vous y invitons cordialement ! »
Auteur(s) : Majead A.
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Mèwsi Monsieur !