J'ai déjà évoqué ce que je pensais, en quelques lignes, des amusants débordements festifs et des barbecues citoyens qu'offre actuellement Bagnolet. J'ai constaté aussi que peu de blogs parlaient de ce sujet, pourtant récurrent en France, en été. On trouve bien une petite vanne par ici et un intéressant article chez Le Pélicastre Jouisseur par là, mais, et c'est encore plus captivant, c'est bien des morceaux d'anthologie que nous offre la presse traditionnelle...
C'est, je crois, l'occasion d'introduire une nouvelle rubrique dans ce blog. Il s'agira de la catégorie "Pignouferies de Libé". Cette catégorie ne se bornera pas à jeter un oeil (narquois) aux articles de ce pauvre quotidien en particulier, mais plutôt à certains de ces articles de presse dont le fond est en décalage notoire avec la réalité. Il pourra s'agir d'un article du Monde ou du Figaro, ou de l'AFP, pour former un ensemble cohérent de Pignouferies de Presse. Ne boudons pas notre plaisir.
Pour cette nouvelle rubrique, je voulais soumettre à la réflexion sagace de mes lecteurs habituels un article illustrant parfaitement cette tendance d'une certaine presse à, soyons clairs, se foutre de la gueule du monde et enfumer son lecteur dans un discours gentiment bobo et délicieusement euphémique.
De la dentelle.
Tout commence avec le titre, Deuxième nuit à Bagnolet pour la police, dont l'URL nous apprend qu'il n'a pas été toujours le même ("La Police Met Bagnolet A Sa Botte"). Je préférai le second titre, celui qui fut promptement modifié : au moins, il annonçait la couleur sur la tendance générale de ce qui allait suivre. Mais ça se voyait trop, sans doute ; déontologie, tout ça, le journaliste (ou sa direction) a choisi de changer pour quelque chose de plus consensuellement mou.
Bref. Attaquons le coeur de l'édifice avec le premier paragraphe.
Alors que l'obscurité avance doucement, ce lundi dans le ciel de Bagnolet, les habitants savent à quoi s'en tenir. La nuit sera chaude, vraisemblablement. Depuis le début de l'après-midi, les fourgons de CRS vont et viennent, aux abords des immeubles et des commerces de la ville. Policiers en civils, à moto, discrets ou franchement inquisiteurs, ils sont omniprésents.
Déjà, le ton est posé : les habitants vont être marqués à la culotte par des policiers franchement inquisiteurs. C'est regrettable, car normalement, après une nuit de barbecue citoyen, il est de bon ton, pour la police, d'aller sur place distribuer des sacs de charbon pour la nuit suivante, chacun le sait. En outre, la présence de la police, déployée dans un endroit où, quelques heures plus tôt, on a brûlé 29 voitures, semble enquiquinante : ils sont partout, les casse-pieds !
La petite douceur de Libé continue cependant avec une double dose de caramel dans le paragraphe suivant :
... La veille au soir, les gamins du quartier s'étaient révoltés, à leur manière, et incendié 29 véhicules en réponse à la mort de l'un d'eux. Yakou Sanogo, 18 ans, avait heurté une barrière métallique au guidon de sa moto, après avoir fui un contrôle de police.
Eh oui : les gamins se sont révoltés, et ceci, bien sûr, à leur manière. Normalement, ici, on aurait dû écrire les petites frappes du quartier s'étaient excités, à leur habitude, et cramé 29 véhicules. Ce qui modifie substantiellement le message transmis puisqu'on passe d'une version "Guerre des Boutons" ou des enfants, mécontents d'être privés de bonbons, crient en bas dans la cour, à la réalité tangible d'une bande de malfrats qui pille, brûle et saccage.
Notons aussi que dans ce paragraphe, on explique que notre branleur à moto a fui un contrôle de police, alors qu'il semble bien avoir refusé de s'arrêter. Là encore, il y a une vrai différence, puisque dans le premier cas, on imagine l'agression policière de laquelle seule la fuite est possible et recommandée pour sauver sa peau (version Libé & Ses Pignouferies) alors que dans le second et son refus d'obtempérer, on a à faire à un n-ième cas de petite frappe jouant au caïd incontrôlable sur une moto inadaptée alors qu'il devait probablement foutre le bazar dans le quartier depuis des heures.
La suite est à l'avenant :
La nuit est tombée et, sans grande surprise, les premières flammes font leur apparition. Pour autant, la ville garde son calme: «On est à Paris, ici», relativise un homme, qui habite Trappes. En d'autres termes, la proche banlieue, comme Bagnolet, sait se contenir. Les gens se pressent à leur fenêtre, pour admirer le spectacle. D'autres boivent un verre en terrasse, comme si de rien n'était, à quelques rues du sinistre.
Eh oui : ici, c'est Paris. Brûler des voitures, c'est comme une partie de pétanque, un match de foot amical et, somme toute, une innocente occupation qui permet aux jeunes du quartier et à la police de s'entraîner gentiment pour les jours où il faudra passer aux choses sérieuses. Et c'est vrai qu'après une bonne nuit d'émeutes à courir à droite à gauche, on dort beaucoup mieux, les muscles détendus d'avoir trotté dans les rues de la cité. Non ?
Avec une telle description, où l'habitant du quartier bois frais pendant que, en toile de fond, les R5 de smicards partent en fumée, on se demande même pourquoi la police est venue, hein. De toute façon, tout ce petit monde continuera de voter pour plus d'associations, plus de dialogue, plus de compréhension, alors ...
D'ailleurs, c'est exactement le but de l'article : poser une question simple, et pas du tout perverse. Pourquoi la police s'est-elle déplacée pour ces manifestations spontanées de soutien et de deuil pour le gentil Yakou ? Hein, dites-moi ? C'est-y pas un peu disproportionné, tout ça ?
Sacré Libé. Le paragraphe final résume à lui seul très bien cet "état d'esprit Pignouferies De Libé" qui fera la marque de fabrique de cette rubrique :
«Les habitants vivent très mal le fait d'être parqués», confirme Laurent Jamet, premier maire adjoint à la mairie de Bagnolet. «Ils comprennent mal le dispositif.» L'homme semble regretter ce déploiement massif, et inévitable. «Dans des situations comme ça, c'est extrêmement compliqué. Evidemment, on n'a pas fait dans la prévention». Malgré tout, Laurent Jamet s'est trouvé des motifs de satisfaction. «On a eu un dialogue fructueux avec certains jeunes», raconte-t-il. La médiation a permis d'éviter que quelques bâtiments publics ne partent en fumée.
Voyez : sans la police, ce serait plus calme. Et c'est bien la médiation, les gentilles papouilles et les petits bisous qui ont permis d'éviter que quelques bâtiments publics ne partent en fumée. Prochaine étape : la distribution de bonbons et de boissons fraîches et de bières légères, je suppose.
Préventivement, je pense que la mairie devrait donner un salaire de - mettons - 3000 euros net pour ces jeunes désoeuvrés tant qu'ils ne commettent aucune incivilité. Et s'ils sont impolis, ils auraient (mettons) un mauvais point. Au bout de 10 mauvais points, un blâme. Au bout de 10 blâmes, on arrête de distribuer les boissons gazeuses. Non ?
On trouvera d'ailleurs, toujours dans Libération, monument de rigueur journalistique, un autre article tout aussi neutre et factuel. Je vous le conseille, c'est un délice.
En revanche, il est bien difficile d'y trouver des informations sur, par exemple, le petit dérapage d'une bande de terreurs de l'Essonne en "vacances" ... à Royan .
...
La presse française se plaint, couine et gémit de perdre son lectorat, de ne plus tenir que grâce aux abondantes subventions étatiques. Elle n'en produit pas moins des articles qui font passer les personnels qui travaillent en son sein pour des guignols et des pantins.
Des guignols, car pour pondre des articles pareils où la réalité est à ce point niée pour éviter de froisser les susceptibilités des uns et des autres, il faut avoir perdu absolument tout sens des mots, de la portée des messages qu'on transmet, et n'avoir plus aucun des repères essentiels à la bonne marche d'une société où, normalement, devrait régner l'état de droit.
Des pantins, car de tels articles semblent remplir une sorte de contrat, de non-dit nauséabond dans lequel on veut systématiquement prendre fait et cause pour la racaille et amoindrir à force de sous-entendus l'action des représentants de l'ordre.
Or, que ces articles soient écrits, après tout, ce n'est que logique dans un pays qui se veut le chantre de la liberté d'expression. Mais, il faut se rendre à l'évidence : même si le nombre d'abonnés aux cochonneries parues dans cette presse diminue, il existe encore un lectorat tout humide à l'idée de s'abreuver aux balivernes qui y sont retracées. Eh oui, ces articles sont lus !
Et leur lecture entraîne ce murmure, ce bruit de fond continuel dans les médias, bruit de fond qui répète inlassablement que, finalement, cette situation est difficile mais le résultat d'une erreur de notre part à tous, qu'on ne peut en venir à bout par la violence (du tout), que seul le dialogue permettra de remettre les cités en marche, etc... C'est ce murmure qui fait que, systématiquement maintenant, la police est mise en cause dès lors qu'un contrôle tourne mal.
Cette presse et ce type d'article est à l'image parfaite de la société française : on ne veut pas voir le problème, on ne veut pas entendre parler de solutions dont on sait très bien qu'elles ne peuvent plus, maintenant, passer que par l'utilisation d'une certaine dose de violence, et on ne veut pas, surtout pas, entendre les sons discordants des victimes : ceux qui ont vu leurs bagnoles brûler, ceux qui sont sans arrêt rackettés, ceux qui subissent les dégradations à leurs poubelles, locaux, boîtes à lettres, ceux qu'on injurie, ceux qu'on frappe.
De ceux-là, il n'est jamais question dans cette presse. Aucun témoignage d'une habitante excédée par les rodéos nuitards des branleurs à moto cross. Aucune nouvelle des petits vieux frappés et injuriés à l'arrêt d'un bus qui ne passe plus guère, parce qu'il se faisait caillasser. Pas d'éléments de réflexion des pompiers, venus éteindre les voitures sous des jets de pierre. Jamais.
Etonnant, non ?