S'il est bien un sujet qui défraie la chronique actuellement, c'est bien celui des bonus versés aux banquiers. Il faut dire qu'après la dénonciation en choeur de la
cupidité de ces derniers par les dirigeants politiques réunis au G20, l'opinion publique a bien du mal à admettre le retour de certaines pratiques de rémunération... Or, s'il paraît
justifié de s'indigner de pareilles rémunérations (que moi aussi je trouve scandaleuses !), encore faut-il en comprendre le mécanisme pour ne pas sombrer dans un manichéisme primaire et pour
proposer une éventuelle alternative.
En premier lieu, oubliez cette expression incongrue que l'on ne cesse de nous sériner depuis que notre omniprésident l'a employée : le capitalisme ne peut pas être "moralisé"... tout simplement
parce que cela n'a aucun sens ! Comme je le dis en quelques mots dans la vidéo ci-dessous, on ne peut pas adjoindre de morale dans un système devenu profondément immoral et que certains se
contentait encore de qualifier d'amoral il y a 20 ans. Vous imaginez dès lors combien j'ai ri en écoutant les déclarations des politiques réunis à la conférence internationale de janvier 2009
baptisée "Nouveau monde, nouveau capitalisme" (sic !). Je retiens en particulier l'ineffable Nicolas Sarkozy qui déclarait que la crise du capitalisme financier n'était pas "la crise du
capitalisme" et l'anticapitalisme était "une impasse, c'est la négation de tout ce qui a permis d'asseoir l'idée de progrès". Et d'ajouter "on doit moraliser le capitalisme et
pas le détruire (...) il ne faut pas rompre avec le capitalisme, il faut le refonder». Mais encore ? Et bien rien ! C'est ce qui s'appelle se faire avoir par de belles promesses dites avec des mots creux.
Que s'est-il passé depuis dans le monde financier et dans le microcosme français en particulier ? En vrac : Goldman Sachs a provisionné au total 11,3 milliards de dollars en
prévision des bonus à verser à ses salariés, la Société Générale avait tenté de donner des stock-options à ses dirigeants, de nombreux patrons aidés par l'Etat en ont profité pour augmenter leur
rémunération fixe à défaut de grossir leur part variable qui aurait bien du mal à être justifiée économiquement, etc. Mais ce qui a mis le feu aux poudres en France, c'est l'annonce par BNP
Paribas de provisionner environ 1 milliard d'euros pour les bonus de ses équipes. Rappelons tout de même que la banque avait reçu quelque 5 milliards d'aides de l'Etat au plus fort de la crise...
Disons-le tout de suite : tout ceci est légal et même conforme aux recommandations du G20 qui restent, pour l'instant, des propositions sans contraintes et quasi-exclusivement basées sur la
transparence. On souhaitait de la transparence ? Et bien nous venons d'être servis ! Et maintenant, il faudra attendre le prochain G20 pour espérer voir émerger un socle commun de
réglementation...
J'en viens donc au calcul des bonus. Pour faire simple, disons que d'un côté se trouvent les dirigeants dont le bonus est normalement fixé par un comité de
rémunération qui est souvent d'une générosité proverbiale. De l'autre, se trouvent les salariés comme les traders. Leur mode de rémunération est basé sur les revenus générés par leur
activité. Ils touchent donc un fixe plus un variable (appelé bonus) qui est est égal à un pourcentage du profit réalisé. Certains de mes étudiants me faisaient remarquer que ce système est à
l'image de la rémunération d'un commercial quelconque. Loin s'en faut ! Un commercial touche une commission qui est payée sans risque qui se perpétue : il vend le produit et puis c'est tout. Le
trader, quant à lui, joue avec les fonds propres de la banque... et peut créer des catastrophes lorsqu'il perd beaucoup comme Jérôme Kerviel ou Nick Leeson.
Ainsi, un trader ne s'occupe jamais du coût du risque puisqu'au pire des cas sont bonus sera nul mais il ne déboursera rien. Pour reprendre la comparaison de mes étudiants, c'est un
curieux commercial tout de même qui continue à toucher son salaire de base tout en ayant casser le matériel qu'il doit vendre... Ainsi, il faut cesser de rémunérer les traders sur leurs
revenus et leur faire payer le coût du risque, voire même le coût de la consommation de fonds propres (car la banque doit payer pour obtenir ses fonds propres : actions, dettes,...). Le trader
fera dès lors moins de profit à mesure que ses positions perdent de leur qualité, ce qui lui donnera une incitation financière (la seule à laquelle il répond favorablement malheureusement) à
éviter certains risques qui pourraient devenir systémiques.
Pour finir, je suis désolé d'afficher mon pessisimisme quant à la question, mais un trader me disait - dans un langage assez vulgaire d'ailleurs - que si Paris en faisait trop avec la
réglementation, il irait à la City de Londres continuer son activité. C'est beau l'Europe, n'est-ce pas ?
"Il faut que tout change pour que rien ne change", Lampedusa
"Moralisation" du capitalisme financier ?
envoyé par Economiste57. - L'actualité du moment en vidéo.