Avec force documentation et une approche érudite, le projet Bippp se donne pour mandat de documenter toute une époque, celle de la morosité pré-Miterrand, de la consommation d’héroïne à outrance, de l’avenir incertain. En apparence, la jeunesse n’est plus en colère : le rock délaisse les guitares éructantes et les cris gutturaux pour se tourner vers la robotisation des synthétiseurs et le désenchantement de voix atones… pas toujours justes, d’ailleurs. L’ère glacière des claviers analogues s’ouvre avec la reconversion de Jacno, ex-punk qui casse la baraque en 1979 avec l’inoubliable Rectangle, instrumental électronique. Dans sa foulée, d’autres musiciens jouent et chantent géométriquement en rouge, noir et blanc, d’une froideur terrifiante. Presque aucun d’eux n’aura enregistré d’album complet, d’où le caractère disparate et forcément un peu inégal de ce Bippp. Cependant, si les morceaux choisis ne peuvent être de même valeur, ils présentent tous un intérêt certain et une atmosphère singulière : juvénilité burlesque (Touche pas mon sexe de Comix, déjà mentionné dans un post précédent), violence explosive et “limite” (Viol AF 015 de Casino Music), noirceur gothique (Le Jour se lève de Visible).
Des 14 titres de Bippp, nous en avons retenu quatre. Tout d’abord Contagion des sarcastiques À trois dans les WC, titre quasi politique et nihiliste à souhait comme le voulait l’époque. Le point de vue d’un aliéné donne à Je t’écris d’un pays des Visiteurs du soir une froideur aussi poétique que glaçante. Un climat caractéristique qui baigne également Polaroïd/Roman/Photo de Ruth et Pretty Day de Marie Moor, deux complaintes synthétiques marquées par la fascination des machines et l’amour impossible… voilà, tout y est pour se figurer un moment historique et musical, aussi méconnu qu’inspirant.