Tout dernièrement, je lisais un peu partout ce branle-bas de combat pour sauver ces pauvres enseignants qui abandonnent avant même d'avoir complété cinq ans d'enseignement. En pleine pénurie d'enseignants, on se demande pourquoi quelqu'un voudrait abandonner un emploi si plein d'avenir. On tente d'enrayer le phénomène avec des forums de discussion pour enseignants, avec des millions investis dont personne sur le terrain ne verra les impacts, on essaie d'expliquer le phénomène : des classes surchargées, un emploi peu valorisé, des enseignants sans expérience laissés à eux-mêmes dans les jungles des écoles,... Vous êtes tous, pardonnez l'expression, "dans le champ".
Ce n'est pas les classes surchargées pleines d'enfants aux prises avec des difficultés diverses, tant au plan des apprentissages qu'au plan comportemental, qui font abandonner les jeunes enseignants. Certes, cela peut parfois être un argument de plus dans leur décision. L'instauration de forums de discussion et de mentorat peut peut-être aider ces enseignants dépassés par certains évènements, mais ne nous cachons pas la tête sous le sable. Les enseignants aux prises avec ce genre de problématiques n'ont pas le temps d'aller s'épancher sur des forums. Ils travaillent dans leur classe et le soir à la maison, délaissant la vie de famille, pour tenter de trouver ce qui fera en sorte que tel élève finira par comprendre telle notion, chercher à savoir ce qui viendra chercher cet élève blasé qu'on n'arrive pas à rejoindre... Non, même si cela est une véritable problématique dans l'enseignement, ce fait fait plutôt décrocher les élèves forts et moyens que les enseignants, les enfants se sentant délaissés au profit d'élèves qui retardent le groupe. L'enseignant, lui, a l'impression de pénaliser la majorité de sa classe, empêchant les élèves désireux de le faire d'apprendre au profit d'enfants qui ne devraient pas être dans sa classe...
D'autres arguent que c'est le manque de valorisation de la profession qui incite les jeunes enseignants à abandonner. Il faut avouer que de voir débouler certains parents dans nos classes pour nous dire comment nous devrions enseigner est déplaisant, personne n'irait faire cela chez le plombier ou le comptable; de voir notre profession salie sans cesse dans les journaux par des journalistes n'ayant pas toujours pris la peine de vérifier l'histoire auprès de tous les protagonistes, se contentant de la version des faits de parents outrés est insultant. Mais, malgré cela, ce n'est pas la raison principale du décrochage des jeunes profs. On a eu le temps de faire un bac de quatre ans pour découvrir tout ça et se demander si on pouvait vivre avec ça. Il est vrai qu'il est épuisant de devoir justifier notre salaire, que deux mois l'été, ce n'est pas des vacances quand tu n'es pas payé mais que les comptes continuent de se montrer le bout du nez, etc. C'est quelque chose avec lequel nous pouvons vivre.
Certains avancent même que la raison est le fait que les jeunes enseignants sont laissés à eux-mêmes dans la jungle des écoles. Partout où je suis passée, dès que j'ai demandé de l'aide, les autres enseignants de l'école m'ont toujours aidé. Ce n'est pas un milieu compétitif une école. Suffit de demander. La très grande majorité des directions font leur travail et sont disponibles pour nous aider. Internet fourmille d'endroits pour se défouler en cas de besoin, pour chercher de l'aide, pour trouver des façons différentes de faire les choses pour trouver solution à un problème que nous vivons en classe. Je ne pense sincèrement pas que cette raison soit même envisageable.
La seule et véritable raison profonde qui fait abandonner les enseignants, même si certaines des raisons précédentes confirment leur décision, c'est toute la bureaucratie qui entoure l'enseignement. On entend parler d'injections de millions de dollars en enseignement. On se dit alors qu'enfin, on va avoir des dictionnaires (la base!!!) datant d'avant 1980 dans nos classes, qu'on va pouvoir acheter du matériel didactique vivant pour nos élèves... pour finalement se faire dire que notre classe obtient 100$ pour l'achat de matériel. Que voulez-vous faire avec 100$ dans une classe de plus de vingt enfants? L'argent s'est perdu dans les méandres administratifs : études sur les besoins des profs, analyses de ces études, mise en place du budget, etc. Il ne reste alors pas grand chose pour le terrain. C'est démotivant.
Cette bureaucratie qui fait en sorte que nous n'avons accès qu'à avoir le droit d'obtenir un poste qu'après plusieurs annés, sans même savoir si nous aurons un poste par la suite. Car voyez-vous, nous devons avoir trois contrats qui comptent (car certains ne comptent pas...) en dedans de quatre ans, il ne faut donc pas ne pas recevoir de contrats pendant plus d'un an, sinon tout est à recommencer.
C'est simple, l'idée d'avoir un poste un jour dans une école nous semble de plus en plus loin plus les années passent, alors qu'on devrait s'en approcher avec les années.
Vous voulez contrer l'abandon des enseignants? Offrez-leur une permanence dans un délai raisonnable. La sécurité d'emploi, c'est important. Avoir l'impression que notre vie, notre carrière, dépend d'un appel téléphonique pour faire assez de suppléance pour être assez connue quelque part pour espérer qu'on pense à nous pour un contrat, puis un autre et enfin un troisième, pour penser espérer avoir un poste un jour... C'est ridicule. Personne n'accepterait de travailler pour un employeur pendant 10 ans sur appel, temporaire, avec la promesse floue et jamais confirmée d'un jour avoir sa permanence. Personne.
Une enseignante qui aime enseigner, mais envisage d'aller voir ailleurs si l'emploi y est plus vert...