Rien de tel pour attirer le bourgeois repu de morale confite des années Louis-Philippe. Mais si on se bousculait pour arracher une relique de la célèbre tuberculeuse, seuls deux ex-amants éplorés avaient suivi son corbillard vers le cimetière Montmartre : le comte Edouard de Perregaux, son mari au regard de la loi anglaise, et Edouard Delessert, futur homme de lettres. Alexandre Dumas fils débute ici le récit de son histoire. Le narrateur assiste à la vente aux enchères et jette son dévolu sur un exemplaire de Manon Lescault, dédicacé à Marie Duplessis par un certain “Armand Duval”. Un inconnu lui dispute l’adjudication, puis cède devant les moyens conséquents de l’acheteur. L’inconnu se présente plus tard au domicile du narrateur : c’est Armand Duval lui-même (ses initiales sont celles d’Alexandre Dumas), qui lui conte l’histoire de sa liaison avec la jeune femme. Le roman peut commencer.
«Je suis une pauvre fille de la campagne, et je ne savais pas écrire mon nom il y a six ans.» Alphonsine Plessis nait en effet à Nonant, dans l’Orne le 16 janvier 1824. Son père est le fils d’un prêtre à la vie dissolue et d’une prostituée campagnarde qui monnaye ses charmes contre quelques bolées de cidre. Sa mère, Marie Deshayes est née de l’union d’une fille de nobles désargentés contrainte d’épouser un domestique. Les deux époux se chamaillent régulièrement. Le père met un jour le feu à la maison dans l’espoir de se débarrasser de sa famille. Livrées à elles-mêmes, les deux sœurs s’élèvent toutes seules. Alphonsine travaille comme servante dans un hôtel à Exmes, puis dans une fabrique de parapluie à Gacé. A 12 ans, Alphonsine subit les assiduités d’un septuagénaire odieux. A 14 ans, son père la confie à des parents éloignés, épiciers rue des deux écus (rue Berger), à Paris,
Elle travaille alors comme blanchisseuse, puis corsetière, rue de l’échiquier et comme modiste, rue Saint-Honoré. Elle se fait un petit pécule et s’habille de façon plus recherchée. A 15 ans, un restaurateur de la galerie Montpensier s’entiche de cette grisette et lui offre un meublé rue de l’arcade. Puis Agénor de Gramont (ci-contre), duc de Guiche, succombe à son tour et l’arrache à son premier bienfaiteur. A 16 ans, la petite paysanne se déplace déjà sur les grands boulevards dans une voiture de maître, avec un épagneul noir sur les genoux. Dumas la décrit comme «grande, très mince, noire de cheveux, rose et blanche de visage, (…) la tête petite, de longs yeux d’émail comme une Japonaise, mais vifs et fins, les lèvres du rouge des cerises, les plus belles dents du monde». Les hommes commencent à lui tourner autour : plusieurs comtes, barons et autres membres du Jockey Club s’enorgueillissent de l’avoir conquise. On dit même que sept membres du célèbre club s’associèrent afin de pourvoir aux besoins de la belle chaque jour de la semaine… Pour l’heure, elle change son prénom et ajoute une particule à son nom. Adieu Alphonsine Plessis, Marie Duplessis peut crier «A nous deux Paris !»
Dans le même temps, elle parfait son éducation : les professeurs de danse, de maintien et de piano, de chant se succèdent au 28 rue du Mont-Thabor, sa nouvelle résidence, tandis que sa bibliothèque s’enrichit de plus de 200 volumes, qui ne sont pas là que pour décorer. Lorsqu’elle s’installe au 22 rue d’Antin, son élégance, le choix de ses toilettes et la qualité de sa conversation, n’ont désormais rien à envier à personne. Elle rencontre alors Edouard de Perregaux, marquis mélancolique et protecteur, qui jette à ses pieds ses rentes considérables, l’emmène en Allemagne et lui achète une maison à Bougival… Mais il finit par la fatiguer avec ses idées fixes de mariage.
En 1844, à 20 ans, elle revient sur Paris, et passe sous l’aile du comte de Stackelberg, 80 ans, sénile, cacochyme, mais non dépourvu de moyens. Il la gratifie du fameux entresol du boulevard de la Madeleine, la couvre de bijoux et de fourrures, lui offre une voiture, des chevaux, des cochers, une cuisinière, une femme de chambre, un coiffeur, un chirurgien-pédicure, des valets, un vétérinaire pour ses épagneuls… Elle tient salon, ne rate aucune première au théâtre, et organise des bals et des soirées dont le tout-Paris s’émerveille sans oublier de piller le buffet et de siffler le Veuve Clicquot. Dans les vases, quand la saison le permet, des camélias par brassées, seule fleur que la maîtresse des lieux supporte. Si elle s’étourdit dans les bras de ses amants de passage, pour oublier l’ennui qui la guette dès qu’elle s’arrête, sa discrétion sur ses relations, son intelligence et son esprit de répartie font merveille.
Un beau soir de septembre 1844, au théâtre du Vaudeville (alors place de la Bourse), Alexandre Dumas fils remarque dans une avant-scène cette jeune femme brune exquise, vêtue d’une robe décolletée en satin blanc. A son cou, scintille une rivière de diamants. Sa main gantée tient une paire de jumelles. Sur le rebord de sa loge, une boîte de bonbons et un bouquet de camélias. Elle est venue ce soir-là avec le vieux comte de Stackelberg. L’ami de Dumas, Eugène Dejazet, fils de l’actrice célèbre, fait signe à une de ses amies, Clémence Prat, sorte de courtier en relation galante de Marie Duplessis
La représentation terminée, les deux compères filent chez Clémence, qui habite tout près de chez Marie. Ils attendent que le vieil amant ait pris ses cliques et ses claques pour débouler chez la dame. On dîne, on boit sec, on s’esclaffe aux histoires salaces de Clémence. Marie est secouée régulièrement par la toux. Jusqu’à ce qu’un fou rire déclenche une quinte plus forte qui l’éloigne de la table. Alexandre (ci-contre), qui l’a suivi, la trouve allongée, pâle et défaite sur un canapé. A ses côtés, une cuvette en argent à moitié pleine d’eau, où s’étirent des filets de sang…
Illustrations : wikipedia, Alexis/Gotlib, DR
LES COMMENTAIRES (2)
posté le 10 avril à 16:46
Je viens rarement sur Paperblog, et je découvre à l'instant, par hasard, votre commentaire. Je ne sais pas ce qui vous permet d'écrire ça. J'ai récupéré le portrait d'Eugénie Doche dans un ouvrage de la Bibliothèque François Mitterrand, ouvrage dont le contenu est désormais dans le domaine public. Quant aux autres "emprunts" que vous mentionnez, j'aurais aimé à mon tour que vous soyez plus précis dans vos accusations.
posté le 23 septembre à 10:04
Bonjour, le portrait d'Eugénie Doche que vous donnez dans votre article est celui que j'ai encadré moi_même et fait paraître dans un article sur Paperblog le 1 avril 2009. Je vous aurai bien volontier donné l'autorisation de le reproduire si vous me l'aviez demandé. Ce n'est pas le seul emprunt que vous faites à mes articles. L'élégance aurait été de les mentionner.....