Je ne sais pas ce que
c’est. Je ne peux pas te dire ce que c’est. Je n’en ai pas la moindre
idée ; c’est
comme
avec les mots, ce n’est plus très clair ce qu’ils sont.
Dedans le monde. Une fois perdu dans l’herbe et toujours à genoux, heureux.
Pendant une seconde
perdre le contact avec la
méchanceté et toujours penser à une quelconque petite seconde à
venir.
Prends soin des arbres, si tu veux. Ils déploient, plient, ferment, sont
entrebâillés. Ils ont une vie
d’arbre, plus longue en moyenne.
Les arbres sont beaux aussi.
Prends soin de la mer, du ciel et des arbres si tu veux. Ce qui coule, ce qui
soulève ; ce qui porte. Ce
qui vit le plus longtemps et tout
ce qui bouge avec, dans, sur ; ce n’est plus très clair ce que
c’est.
Mais c’est dedans le monde. Nous avons bâti un endroit et commençons par des
pas. Nous
nous
blottissons contre un arbre pour
nous rappeler l’herbe. Nous nous blottissons l’un
contre l’autre pour nous rappeler
l’arbre. Nous avançons pas à pas, essayons de nous
rappeler le corps, nous nous
blottissons contre le vent et l’espace et essayons de voir ce que
c’est.
Mais ce n’est plus très clair. Nous sommes dedans le monde. Herbe, arbre,
corps. Mer, ciel, terre –
prends-en soin, si tu veux. Il ne
s’est rien passé. Mais il y a un silence. Il y a un mensonge.
Je ne peux pas te dire ce que
c’est.
Le temps se glisse gentiment partout. Les rues fleurissent. Les maisons
flottent au gré du vent
comme des palmiers. Les mouettes
dessinent des cercles autour de la hampe sacrée. Tout
est en irruption ardente comme
les robes à fleurs à bord des bateaux de tourisme. Mais
nous disons courageusement
bonjour, au revoir et nous posons des couronnes.
Chéri - car ce mot existe – il y a un mensonge. Il y a une porte fermée. Je la
vois. Elle est grise. Elle
a une petite main noire et raide
pour saluer et prendre congé. Elle a une petite main noire
et raide qui est toute calme à
présent. Cette porte n’est pas un mensonge. Je la regarde
fixement. Et ce n’est pas un
mensonge. Je ne peux pas te dire ce que c’est.
Inger Christensen, Herbe, traduit du danois par Janine et Karl Poulsen, Atelier La Feugraie, 1993, p.43-44.
Contribution d’Ariane Dreyfus
Inger Christensen dans Poezibao :
bio-bibliographie ; sa mort, extrait 1
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