Scène 9
Les mêmes, moins Scarlatina
CUNEGONDE
J'admire ce courage ou cette inconscience*
Qui la font calmement courir à la potence.
Car je connais mon ex, même au bord du trépas,
Il aime s'exciter, faire des embarras.
FIFI
Nous voilà tous calmés, et c'est fort bonne chose.
Voyons, réfléchissons : nous n'avons plus de dose
Dans le sacré frigo ayant subi l'outrage
De se faire percer par des doigts pleins de rage.
ROSIE (Reniflant)
Plus une seule, hélas. Terrible vacuité
Dont le spectacle affreux me fait tant sangloter.
CUNEGONDE
Mais pourtant on dit bien, et ce dans les journaux,
A la télévision, et même à la radio,
Que tous tes entrepôts de vaccins sont bourrés,
Efficaces et prêts à être consommés.
ROSIE (Se remettant à pleurer)
Mais tout ça c'est du vent, un truc bien politique
Pour calmer les esprits et la foule hystérique.
C'était mon conseiller en communication
Qui m'avait ordonné cette proclamation.
LA MADONE (Menaçante)
Veux-tu dire par là que le peuple floué
N'a donc pas les moyens de se bien protéger ?
ROSIE (Allant se réfugier derrière Cunégonde)
Ce n'est pas comme ça que j'aurais présenté
L'actuelle situation ; mais si l'on prend l'idée,
Elle est ma foi très juste et résume l'affaire.
LA MADONE (Retroussant ses manches)
Cette fois, les amis, laissez-moi me la faire.
CUNEGONDE (Fermement)
Il n'en est pas question. Ton courroux légitime
Ne saurait s'exprimer par des actes ultimes.
Rosie, écoute-moi : es-tu dans ton bon sens ?
N'as-tu rien à dire qui ne soit pas non-sens ?
ROSIE
Mais je puis expliquer d'où vient la pénurie.
LA MADONE
Que va-t-elle inventer dans le genre ânerie ?
ROSIE
Ce n'est pas de ma faute et je vais le prouver.
Avec tous les labos je suis en pourparlers.
J'essaie de marchander, d'avoir le juste prix
Pour empêcher ainsi toutes escroqueries.
Et cela prend du temps, plus que je ne pensais ;
Coriaces* ils sont, refusant le rabais,
Et ne lâchant jamais qu'après bien des débats
Un misérable euro, gain de tous nos combats.
Mais nous avons trouvé quelque terrain d'entente
Et la commande ainsi sera bientôt patente.
CUNEGONDE
Si j'ai donc bien compris, ces fameux entrepôts
Devraient dans quelques jours recevoir leur dépôt.
ROSIE
Ou bien dans quelques mois. Les délais sont variables.
Mais ils seront remplis, et ça, c'est indéniable.
J'ai cru plus opportun et plus diplomatique
De devancer un peu l'annonce médiatique.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Mais si l'épidémie se propage trop vite
Et devance le stock ? J'ai le cœur qui palpite
Rien qu'à l'affreuse idée de ce qu'il adviendra.
ROSIE (Geste fataliste)
Ce n'est quand même pas l'horrible choléra
Qui s'abattra sur nous. Et si des gens trépassent,
Pour ceux qui resteront, ça fera de la place.
LA MADONE (Outrée)
Mais quel affreux cynisme ! Et tu dis sans trembler
Des propos injurieux pour notre humanité !
ROSIE
Et qu'aurais-tu donc fait ?
LA MADONE
Oh, pas mieux, c'est certain.
Mais pas pire non plus.
LEILA
Rien n'est plus incertain.
LA MADONE
Au moins, j'aurais bien mieux protégé mes arrières.
Et devant mon frigo, j'aurais mis des barrières.
ROSIE
De telles situations doivent être gérées
Et je n'ai pas le temps d'aimer l'humanité.
J'ai des comptes à rendre, un budget fort serré
Qu'en aucun cas vraiment, je ne dois dépasser.
CUNEGONDE
Allons, je le vois bien que tout n'est pas perdu.
Positivons les faits : tu as quand même su
Prévoir un peu le pire et agir pour le mieux.
Admettons cependant qu'il est très audacieux
D'avoir tant affirmé que tout était prévu
Alors que des vaccins, on n'a toujours rien vu.
Et tous là nous devrons, tout autant que nous sommes,
Prendre nos précautions, connaître les symptômes,
Afin de nous garder cette maladie.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (Plaquant un troisième masque sur son nez et sa bouche)
Mais j'avais bien prévu de telles perfidies.
Masquée, gantée, voilée, je ne sortirai plus
Qua sans des protections entassées par-dessus.
LEILA (Raillant)
Très sage décision. Rendue donc invisible,
Vous deviendrez je crois tout à fait perfectible.
(On entend, derrière la porte de droite, un grand charivari, une voix masculine irritée qui dit des choses incompréhensibles, vocifère, puis c'est le silence. La porte s'ouvre, parait Scarlatina.)
Scène 10
Les mêmes, plus Scarlatina
SCARLATINA
Voilà c'est fait, il sait.
CUNEGONDE
Et ?....
SCARLATINA
Ma foi, il a crié.
Mais je m'y attendais. Je l'ai bien dorloté,
Et puis heureusement, il s'est enfin calmé.
Mais il m'a ordonné, d'un ton fort aigrelet,
D'aller sur Internet et de prendre un billet
Pour le prochain avion partant pour l'Antarctique.
ROSIE (Se tordant les mains)
Je le savais, Seigneur ! Adieu la politique !
SCARLATINA
C'est pour vous en effet ce billet aérien,
Qu'il vous offre céans, qui ne vous coûte rien.
CUNEGONDE
Mais ne pourrait-on pas transformer la sentence ?
LA MADONE
Elle est bien méritée, vu son incompétence.
SCARLATINA (A Rosie)
J'ai plaidé votre cause avec une passion
Qui n'a servi de rien. Il n'a que répulsion
Pour ce qu'il nomme là crime contre l'Etat.
Il vous faut, je le crois, admettre ce constat
Faire bonne figure, préparer vos valises
Et regagner l'igloo planté sur la banquise.
(Rosie sanglote et s'apprête à sortir. Cunégonde la retient par le bras.)
CUNEGONDE
Il ne sera pas dit que j'aurais laissé faire
Un acte si odieux, et si vraiment contraire
A cette charité qui doit nous gouverner.
Il me faut tout de suite aller le raisonner.
(Sans attendre de réponse, elle entre dans la chambre à droite. Au même moment, apparaît Daktari, à gauche.)
(A suivre)