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l'hydre anti de Billy Dranty

Par Florence Trocmé

Lhydreanti

Tandis que certains sacrifient à la poésie sans détours, qui se définit comme telle, d’autres s’en échappent (en réchappent), malgré leur entêtement à commettre des écrits qui lui sont assimilables, ayant peut-être su mieux digérer leurs influences. Point besoin en tout cas de publier son énième livre, en bon boulimique de la plume, pour « faire ses preuves », quand on voit comment un premier opus peut être synonyme de qualité et de maturité.
Rarement vision de langage n’aura été à ce point extatique, hallucinée voire, confrontée à ses limites, alors que chaque élément lui paraît constitutif de sa force ; et aussi bien ce qui ne le laisse en rien paraître. Car c’est ici que le poème se fonde, à tenter de circonscrire l’hystérie qui le gagnerait, sans ses capacités à la fois d’accumulation et de dénigrement partiel du sens (et de « frénésie du délicieux partage des sens »), d’exploration des paradigmes à revers et de débroussaillage de l’intime, incoercible et « crapoteux » (terme apocryphe cher à l’auteur).
L’ambition est de taille : Dieu, Miller souhaitait lui mettre un coup de pied au cul ; Billy Dranty lui accole un « H » d’office mais en le privant de sa majuscule, pour faire de l’innommé un « dIEUH », un bien nommé, parmi Mathilde, Irène (« la psychienne aux yeux de chatte »), ou encore Maman qui constituent les rôles titres des premiers textes du livre en forme de petites histoires. Histoires où le combat pour la vie pose au passage la question de sa légitimité, notamment à travers « IL (…) depuis longtemps persuadé qu’il s’est arrêté de vivre avant de naître… » Et puisqu’il faut « enfanter un hêtre plus malheureux que le bonheur lui-même… », dès lors, pourquoi s’affliger, se morfondre quand tout forme un tout (référence au Maître du tao en exergue oblige) : « L’envers est l’endroit mais l’élan vers l’endroit est envers… » Tout est vie, même « le petit soldat de plomb » bien que l’existence se limite à un jeu qui nous est inconnu où, par exemple, « IL (…) avance de trois cases » ; IL ou peut-être je, tu, nous…
S’ensuivent un poème, un seul, au sens purement métrique, en sacrement de ELLE – la seule qui le mérite sans doute – puis une longue prose en plusieurs parties qui ne différencient en aucun cas les approches de ton ou de genres supposés, et ce, du début à la fin. Car dès les premiers mots s’impose la part hymnique du langage, autrement dit l’hymne à la vie rude que nous mènent les mots ; une poésie qui « RETOURNE LE CORPS NANTI DES NON-DITS ET PERCE ». Attitude Ô combien dégagée vis-à-vis de la science du langage commun.
Bien sûr, le calembour et les innombrables jeux de mots sont de mise : « vade retro ! Ça tenace… » ­– à la manière d’un surréalisme belge (sans parler de style pour autant), moins connu que son cousin françois mais tellement plus IN-TÉ-RE-SSANT. Passons ! Sans compter que l’auteur s’amuse ( ?) parfois à renouer avec les bonnes vieilles allitérations, évitant les écueils d’un classicisme sous-jacent : « Sont-ce d’insidieux sans-souci qui descendent tout simili si moi, le décent… » ; jusqu’à redéfinir nos propres références : « l’autonomie c’est s’auto nommer en l’innommable.. »
Mais l’anecdotique prend fin au moment même où l’on s’en sert, relativisant la notion de sens établi (soit le fond) et transgressant les limites du langage (et la forme), plutôt qu’en guise de simple ornement fantaisiste. « Résultat d’une insurrection contre les genres et le ton littéraires », est-il fait mention dans la préface tandis qu’il s’agit avant tout de surrection d’un langage qui peine à éclore – mais en jouit de cet état limite – et a le don de s’extasier à chaque détour, cherchant à n’en jamais finir de naître justement, de manière à profiter pleinement du cri, et donc de l’écrit, présents. « Tout est à perte, » peut-être, « mais chaque instant perpétue le cri de la vie vierge. Le premier mot, le premier geste : à la genèse, je n’hésite plus », avoue comme résolu l’auteur. D’où sa volonté de ne jamais déroger aux transactions de la pensée, aux dissolutions de la logique, en commençant par imposer après avoir fourbi ses codes : « – moi près de la langue utile : la langue mortelle du cri encoconné. » Codes parfois ramenés à de simples « mots-bombes », « mots-bambins », comme davantage de cris qui s’opposent à la pensée induite, privilégiant plutôt la magie du verbe incantatoire. Puisque lorsqu’il éclôt enfin, ce verbe, ce peut être de toute beauté : « L’amour est entre. Entre ce qui va mourir et ce qui va germer… » ou sans cela, il serait si tentant de ne plus invoquer La Poésie, digne de ce nom. Bah, oui ! Celle capable aussi de se remettre en cause, réunissant poison et antidote dans la même fiole. Pas de doute, Billy Dranty tient à rendre son lecteur mithridate.
Images, sentiments, réflexions et sensations en brusques interventions se révèlent sans jamais faillir sous autant de références nouvelles, de signes d’un autre temps qu’il nous faut gagner entre les mots tout du long de cette œuvre. L’expérience d’une langue concrète qui se cherche (à travers son apparent phénomène d’abstraction) le dispute au raisonnement poétique, comme expression d’un monde nécessaire aux lois intraitables bien ancrées, mais refusant le parti pris d’une moindre cosmogonie signifiante qui justifierait le poème. « Là-bas mon ordre : le désordre (sans aucun doute). » Et c’est en sens qu’on peut dire véritablement qu’un auteur naît, à peine révélé et même si – « Par la sortie je souhaite entrer dans la pièce aux épaisses parois de chair… » – c’est à rebours. Pourvu qu’à Lerne la bête continue de se tenir tranquille.

©Mazrim Ohrti

Billy Dranty
L’hydre-anti
éditions Fissile


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