Dans la famille Troisgros, il y a Jean, il y a Pierre... et il y a Michel. Pour un peu, on pourrait se croire dans un film de Sautet, excepté que l'affaire se passe à Roanne et que le bistrot est un restaurant étoilé. Michel, fils et neveu, avait déjà un nom constellé. Le prénom a revêtu la même étincelle que ses prédécesseurs par son positionnement affirmé dans la succession. Il s'agit en effet d'une histoire de famille que nous raconte Michel Troisgros dans son livre éponyme. « Ce n'est pas un livre de parmesan, de pasta, de basilic ou de pizza » mais bien son Italie, mi-réelle, mi-imaginaire. L’Italie qu’il évoque, souriant, décrivant un voyage en voiture, rythmé par plusieurs étapes avant l'arrivée dans le Frioul, le temps des moissons.
Ce livre, c'est le témoignage de l’identité simple de la cuisine italienne dans la cuisine de ce chef reconnu. Identité qui est aussi un hommage à sa mère et sa grand-mère qui ont transmis à Michel, l'art naturel du geste maîtrisé, de l'instant, de la générosité, du partage, « cette cuisine du rien qui donne beaucoup ».
Le cuisinier de Roanne raconte sa fascination pour la trancheuse à jambon, véritable pièce trônant au centre de toutes les trattorias, et qui coupe de fines, très fines et justes tranches. D'ailleurs dans sa cuisine, la trancheuse laisse trace de sa présence avec des lamelles du légitime jambon, mais aussi de pastèques, d'autres légumes et fromages. La maîtrise de la coupe, Michel Troisgros en a fait une démonstration le matin même à Olivier Roellinger, le laissant admiratif devant cet enchaînement aux allures chorégraphiques. Le chef coupe, émince mais pile aussi. Ainsi son goût pour l'usage du mortier, rappelant que le pesto se cuisine en broyant manuellement du basilic afin d'en extraire l'essence.
Michel Troisgros reconnait également dans son ouvrage, toute sa place à une saveur mal aimée dans notre contrée: l'amertume, plus appréciée de l'autre côté des Alpes. Il l'intègre dans ses menus, de façon construite et pondérée, à peine perceptible mais indispensable à l'équilibre du plat.
Il joue ensuite avec le croustillant des textures dans l'assiette et s'emporte. Les mains s'agitent au rythme des mots lorsqu'il nous livre une recette « basique » faite de spaghettis, de poivrons revenus à l'huile d'olive et de miettes de pain jetées dans la poêle. Emporté par l'image gestuelle, l'aigre-doux, autre composant entrant dans les plats de Roanne, est tout juste frôlé par les mots, le temps s'écoulant à la vitesse d'une cuisson à feu vif.
La table de Michel Troisgros ressemble à l'image de celui qui la construit chaque jour: faite d'une tradition vivante, gustative, réinterprétée de façon respectueuse et généreuse.