Rue Bonaparte, en pleine manifestation silencieuse à Téhéran, je désigne cyniquement un Ispahan au jeune homme qui sert les clients dans la boutique-galerie de Pierre Hermé. Il fait beau, les femmes sont en jupes, en robes multicolores, les genoux apparents, les lunettes de soleil à la Jackie Onassis couvrant plus que les yeux. Mon gâteau est emballé dans une boîte aux tons pastel, déposée dans un sac en papier ajouré de feuilles de tilleul… très chic.Déposé délicatement dans une assiette, le gâteau de Pierre Hermé semble renfermer ces évocations propices à la rêverie. Comme dans un songe éveillé, Ispahan, la ville d’Iran, se devine aux couleurs pastel, aux jardins parfumés de roses et de jasmins.
Entre deux coques roses de macaron, à l’intérieur d’un rempart de framboises, se cachent une crème aux pétales de rose et des letchis frais. La délicatesse de l’assemblage dégage une sensualité suave que l’on découvre en tentant de couper une part à l’aide d’une fourchette à dessert. La fragilité n’est qu’apparente, le macaron se tient, ne s’effondre pas. Certes, l’aspect que l’on osait à peine toucher, est légèrement effrité, mais c’est pour offrir une autre facette, moins visuelle, plus savoureuse, plus fraiche, plus parfumée. Le léger bruit de la coupe, franc, laisse présager le croustillant du macaron et l’aérien de la crème. La délicatesse des saveurs s’impose au palais. La carapace à la rose fond délicatement et se laisse subtilement réveillée par la framboise et la profondeur du letchi. L’Ispahan est une des rares pâtisseries qui se marie délicieusement avec la chaleur de l’été. Les bouchées sont intenses en saveur et peuvent s’étaler le long d’un après-midi paresseux.
Ispahan, berceau de l’empire perse, se laisse évoquer devant ce sublime macaron. Les images défilent, puis, la beauté laisse peu à peu place à la nostalgie à mesure que le gâteau se réduit. L’Ispahan d’Hermé serait-il la consolation offerte à une féminité répudiée, à une existence cachée ?