En donnant au SmartStax son ticket d’entrée dans la chaîne alimentaire, Ottawa vient confirmer une nécessaire refonte du cadre légal autour des OGM, estiment les environnementalistes.
L’annonce, même faite au coeur de l’été, n’est finalement pas passée inaperçue. En donnant son feu vert, début juillet, à la commercialisation du maïs SmartStax, une nouvelle génération d’organisme génétiquement modifié (OGM) dite «recombinée», l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA) a soulevé l’ire des environnementalistes au cours des derniers jours, un peu partout au pays.
En choeur ils ont dénoncé des failles béantes dans le processus d’évaluation de cette nouvelle plante, failles qui placeraient désormais le Canada en marge des normes internationales en matière de salubrité des aliments, prétend même une coalition de mouvements écolos.
Pis, avec une analyse de risque jugée expéditive, pas très transparente et surtout basée sur un principe douteux, selon ces opposants, le maïs SmartStax sème la grogne, mais commanderait aussi une refonte du cadre réglementaire canadien, pensent plusieurs environnementalistes. Une refonte nécessaire, prétendent-ils, afin d’appréhender à l’avenir les transgènes, non plus comme de simples plantes, ce qu’elles ne sont plus, mais plutôt comme des substances chimiques, ce qu’elles seraient devenues.
«Dès le départ, le Canada a décidé d’évaluer les OGM sur le principe de l’équivalence en substance en prétendant que plantes ordinaires et plantes transgéniques n’étaient pas différentes», lance Éric Darier, de l’organisme Greenpeace. «Or ç’a été l’erreur. Nous sommes désormais coincés dans cette mauvaise logique et nous allons devoir en assumer les conséquences.»
L’équivalence en substance ?
Le concept a été inventé par les lobbyistes à la solde de compagnies de biotechnologie au début des années 80 dans les coulisses du pouvoir aux États-Unis. C’est du moins ce qu’à mis en lumière, en faisant parler l’un d’eux, la documentariste Marie-Monique Robin dans son Monde selon Monsanto, reportage coup-de-poing sur le monde de la biotechnologie sorti en mars 2008. Par ce prisme, si un OGM démontre une composition biologique identique à celle de sa version non génétiquement modifiée, il sera alors sujet aux mêmes exigences réglementaires. Ni plus. Ni moins.
Or le maïs SmartStax, qui vient de recevoir d’Ottawa son ticket d’entrée dans les champs du pays, mais aussi dans la chaîne alimentaire humaine et animale, a tous les attributs requis pour remettre en question ce principe réglementaire. D’un nouveau genre, il combine en effet dans une seule plante huit caractères transgéniques déjà approuvés par le passé par les autorités sanitaires canadiennes dans cinq plantes différentes. C’est ce qu’on appelle de l’empilage de gènes.
Pause pedigree: ce super-OGM, fruit d’une collaboration entre Monsanto et Dow AgroScience, une division du géant chimique Dow Chemical, a la capacité de résister à deux herbicides. Il produit également une protéine insecticide qui lui permet de se défendre seul contre deux parasites communs du maïs, les lépidoptères et la chrysomèle des racines.
Dans un avis d’une demi-page rendu la semaine dernière, l’ACIA le juge sécuritaire pour la santé humaine et pour l’environnement. Selon l’agence, soutenue par Santé Canada, chaque lignée de plantes transgéniques dont est issu le SmartStax a été évaluée par le passé et a démontré son innocuité. L’empilement des caractères transgéniques n’appelle pas, selon eux, d’autres formes d’évaluation, à moins que le fabricant «n’informe Santé Canada de changements dans le niveau de sécurité de son produit», a indiqué au Devoir cette semaine Christelle Legault, porte-parole du ministère fédéral de la Santé.
Comprendre l’imprévu
Pourtant, dans une directive datant de 2003, le Codex Alimentarius ne semble pas du même avis concernant la procédure. L’instance internationale liée à l’Organisation des Nations unies (ONU), qui se charge de définir les normes mondiales en matière de production et de salubrité alimentaire, estime en effet que, devant des «aliments dérivés à ADN recombiné», dont le SmartStax fait partie, les gouvernements nationaux devraient effectuer de nouvelles évaluations de risque, et ce, afin de lever le doute sur «les effets imprévus» qui accompagneraient l’apparition de ces OGM à caractères transgéniques empilés.
Ottawa n’a toutefois pas tenu compte de cette recommandation et n’a pas entrepris cette évaluation spécifique du maïs SmartStax avant de lui permettre de se répandre dans la nature. Le fédéral s’est contenté des études précédentes sur ses caractères transgéniques, avant qu’ils n’aient été empilés.
«Santé Canada a abdiqué ses responsabilités et n’a pas tenu compte des risques pour la santé publique que pourrait causer ce nouveau maïs OGM auquel ont été ajoutés huit gènes que l’on retrouvera bientôt dans les corn flakes», a résumé cette semaine Lucy Sharratt, du Réseau canadien d’action sur les biotechnologies (RCAB).
L’accusation est sérieuse, engagée et imagée en même temps. Devant cette nouvelle génération d’OGM, elle appelle aussi les autorités sanitaires à revoir leurs façons de faire en sortant pour de bon de leur logique jugée stérile de l’équivalence en substance, pour passer à un cadre plus sérieux, selon les environnementalistes. «Ces plantes produisent des insecticides, dit Éric Darier. On devrait donc les évaluer comme des insecticides.»
Des contraintes qui gênent
L’idée n’est pas nouvelle, mais elle est aussi lourde de conséquences pour les compagnies de biotechnologie. C’est qu’actuellement, pour mettre en marché un OGM, les fabricants de transgènes doivent décliner devant Santé Canada la composition moléculaire de leur plante, mais également présenter des études sur sa valeur nutritive, sur les risques d’introduction de toxines nouvelles et sur les risques de provoquer des réactions allergiques. En gros.
Si ces produits devaient être considérés comme des insecticides, les Monsanto, Dow, Bayer et consorts seraient alors contraints de présenter d’autres analyses de risque, plus poussées, et ce, afin de tracer avec précision les contours toxicologiques de leur création. Ces géants de la transgénique devraient par exemple s’assurer que leurs plantes n’ont pas la capacité de provoquer des cancers, d’altérer les chromosomes ou d’induire des malformations congénitales. Un processus bien sûr plus long, plus coûteux et auquel s’opposent farouchement depuis des lunes les assembleurs de gènes.
«L’amélioration génétique des plantes existe depuis plus de 100 ans, lance à l’autre bout du fil Trish Jordan, porte-parole de Monsanto, visiblement piquée au vif par l’évocation d’un possible changement de cadre réglementaire. L’évaluation actuelle fonctionne très bien et nous répondons entièrement aux exigences de Santé Canada pour mettre en marché des produits sécuritaires. Il n’y a pas de risque, quoi qu’en disent les activistes.»
Carolina Monardes, du Centre de recherche en droit public de l’Université de Montréal, lui donne d’ailleurs un peu raison en estimant que la réglementation actuelle «n’est finalement pas déficiente» puisqu’elle tient compte du sacro-saint «principe de précaution», souvent interpellé par les opposants aux OGM. «Mais c’est peut-être dans la façon dont ce cadre est mis en oeuvre» qu’il pourrait y avoir un problème, dit-elle en parlant de la faiblesse des moyens financiers servant à évaluer, de façon indépendante, l’impact réel des transgènes sur la vie des gens.
Dans ce contexte, c’est donc le «développeur [qui doit] effectuer la caractérisation du maïs SmartStax pour s’assurer qu’il n’y a pas de changement nutritionnel, ni d’apparition de nouvelles toxines», a indiqué cette semaine au Devoir Tania Fielding, de l’ACIA. Ce qui revient à «remettre les clefs du poulailler au renard», résume Éric Darier. Cela relance aussi une nouvelle fois le débat sur ces plantes qui empilent désormais les gènes… et les controverses.
LeDevoir.com Fabien Deglise 02 août 2009