Magazine Journal intime

Pêle-mêle en Pologne

Par Eric Mccomber
J’écris tout ceci assailli par les mouches, qui sont amoureuses de mon ordi tout chaud. Je n’avais jamais remarqué avant à quel point les mouches chient. Elles laissent leurs crottes partout sur le plastique blanc de mon portable et ça s’accumule avec les heures. Il fait très chaud et je sue abondamment. Je me demande même si ma sueur ne va pas se mêler aux étrons de mouches et s’infiltrer dans les fentes du boîtier et causer des ennuis à ma machine.
Passé une nuit à la frontière, très moche. Un mariage avec duo-synthétiseurs m’a gardé éveillé toute la nuit. Tant pis, bon. Bien mangé la veille et à pas cher. Tant est que j’ai échoué dans ma tentative d’écouler mes Hrivnas.
Trois heures aux douanes de Rava-Ruskya. Soleil immonde et immense. Ombres longues, pourtant, parce que je suis arrivé sur place à 6h presque pile. Pour la première fois, j’ai droit à la fouille détaillée, deux fois plutôt qu’une, une en Ukraine, une en Pologne. Je prends un petit-déjeuner à base de tablettes de chocolat nord-américaines soutirées à prix d’or à une distributrice Petsi-Coala. C’est long, trois heures.
Des tas de collines et du vent de face. Contraire. Contrariant. Dans la gueule. Une voix de connard en moi qui dit tout le temps : « c’est pass t’es pas dû pour retourner dans l’Ouest. La nature te lance un message. » Pourrait pas m’envoyer un chèque, ste nouille de nature, non ? au lieu de tout ce vent.
Un autre wild plutôt wild, l’autre soir. Rien trouvé qui ressemble à quoi que ce soit et le soleil se couche. Les fermiers m’envoient chier, les forêts grouillent de blaireaux, les restaurateurs ne comprennent rien à ma proposition de manger et planter ma tente au jardin, les gentils citoyens m’envoient devant ou derrière, se foutent plutôt systématiquement de ma tronche. J’avise un terrain de camping sur ma carte touristique. Je m’y présente. Une très vieille quadragénaire officie à l’entrée. Pas bienvenue, pas bonjour : 10€. Pour un grand carré d’herbe sale et sèche, douches en extra, rien d’inclus, pas de dej, pas d’Internet, pas même de tables où s’asseoir, camping cars stationnés tout autour. C’est un peu comme dormir dans un enclos d’éléphants aveugles et je dis non, non merci. Il n’est pas très tôt et je constate qu’en pleine haute saison, il y a un grand total de zéro tentes plantées là. Bref. Anteka. Donc, je remonte en selle et j’harnache la fatigue bien serrée.
Toujours, je ne trouve que pouic. J’avise finalement ce qui ressemble à un hôtel, juste à la sortie de Nielisz. Renseignements-pantomime pris, non, c’est un bâtiment tout neuf, vide, n’abritant qu’une toute petite épicerie. On me trouve une dame qui parle anglais, du moins juste assez pour appeler un jeune et lui demander de me conduire à une auberge tout près, que j’aurais ratée en passant. Le jeune sur sa mobylette et moi sur la Gaxuxa, nous remontons la côte que je viens de dévaler et redescendons celle que je viens de grimper. Nous roulons ainsi quelques kilomètres et nous tournons dans l’entrée d’une fermette. Le môme appelle et klaxonne. Une jeune femme sort sur la véranda. Échange en polonais. Le petit redémarre sa monture et je remonte sur la mienne. Nous reprenons la route pour défaire encore quelques kilomètres avant de revivre exactement le même scénario. Ça se passe ainsi quatre ou cinq fois au total, jusqu’à ce qu’on arrive, à la brunante, chez les tabatiers, tout affairés dans le séchoir. « Tak tak, hostel, tak tak ». Finalement, je plante ma tente dans leur exploitation et j’ai accès aux toilettes, tout ça pour quelques sous. Il est près de 22h quand je termine de m’empiffrer de fromage blanc et de pierogis achetés en route vers 18h alors que j’étais affamé. Debout à 4h, départ à 6. Les tabatiers me saluent chaleureusement. Krisztina m’a expliqué la veille qu’elle est une ancienne championne olympique sur 1000 m. Elle me fait signe de garder le souffle. J’acquiesce. Hop ! Djendobre.
Quel contraste, après une autre nuit à l’arrache nulle part derrière rien, caché par l’abysse et roupillant dans le néant, de se voir accueillir chez une famille fermière de couchsurfers improbables ! Le fiston est vélomaniaque (de montagne), la fillotte est prof, les autres sont sympas comme tout, la matriarque se rappelle de son français, de son espagnol, de son allemand, de son anglais… Elle n’a pas employé ces langues depuis trente ans, mais sursaute à tout bout de champ avec un mot qui lui revient : « Oh : bonjour ! Petit-déjeuner ! Ah-ah ! Il-faitre-choleil ! Hi-hi-hi. Bounne-Muit ! Grachiach. Eh-eh-eh. Gut, gut, yahvol. » Il y a festin. Borscht, pierogis, concombres, tomates, oignons, carottes, haricots, oeufs, fromage, tout vient de derrière la maison. La panse au point d’éclatement, je suis le frérot devant, où il pose des questions sur la Gaxuxa. Finalement, il m’avoue que ses potes ont une boutique vélo, qu’il les a appelés, qu’ils sont fans de mon projet et offrent de faire le grand ménage à la Gachu gratoski. Sans réfléchir, je dis oui, mais je n’avais pas compris qu’il allait emmener la Basque dans sa voiture à l’instant et revenir me prendre le lendemain pour me conduire au bikeshop. Trop tard pour reculer. Je n’aime pas trop la laisser partir ainsi et surtout l’idée de les laisser bosser dessus sans que je puisse exprimer mes préférences. Mais bon, l’atmosphère est si détendue et l’offre si généreuse, je n’ose pas changer d’avis.
Je reste donc là le lendemain, avec l’idée de partir en après-midi pour quelques dizaines de clics, histoire de m’avancer. Mais le matin suivant, pas moyen de rejoindre le frère, dont on apprend qu’il est en vacances et sans doute parti à la mer (!). Nous tentons de l’appeler tout l’après-midi sans succès. Contre mauvaise fortune bon cœur, j’en profite pour visiter, me balader sur la terre, rencontrer un cheval, des chiens, des poules… À 19h la Gaxu arrive. Ouf. Je regarde rapidement ce qu’ils ont fait, je ne vois pas grand chose, je remercie chaleureusement, poignées de mains, etc. Nouveau festin, cette fois c’est moi qui régale. Une de mes deux recettes à succès, lentilles curry. Ça le fait, tout le monde crache du feu. À la fin, le fréro vélomaniaque m’offre un cadeau, deux chambres-à-air et deux paires de patins de freins neufs. Je remercie d’une voix étranglée par l’émotion.
Départ à l’aube. Ça commence par une longue montée et je trouve la Gracieuse bizarre, un peu molle, détendue, quoi. En cours de montée je décide d’ignorer les signes que je crois percevoir, de manière à atteindre le haut. M’y voilà, en haut, et je suis certain qu’il y a un os. Paresseux, je vois en tournant au carrefour que ça descend sur des kilomètres. Je m’engage dans la pente… et je me réveille enfin. C’est le guidon. Les gars de bikeshops ne peuvent jamais s’empêcher de démonter mon satori (une potence ajustable prolongée). Une fois que c’est fait, ils ne savent pas le remonter (il faut des heures quand on ne sait pas). Bref, je comprends qu’ils se sont énervés dessus et ont tout remonté à peu près sans dire un traître mot. Si j’avais pris de la vitesse, mon guidon se serait décroché au milieu de la pente et je me serais pris le crash du siècle. Je défais tous les sacs et je renverse la Gachu sur le dos.
Au bout d’une heure, comme je devais pique-niquer à midi avec la fillotte, je décide de l’appeler pour annuler notre rendez-vous. Elle vient me rejoindre à pied avec les chiens. Juste comme elle arrive, je termine de remettre le satori en ordre. Je remonte en selle pour faire un test. Ça va, mais là je me rends compte que mon dérailleur est totalement n’importe quoi. Chais pas ce qu’ils ont fait, ces vélo-de-montagnards, mais pas moyen d’ajuster, la plaque frotte sur la chaîne. La fillotte me convainc de retourner à la ferme, où je bosse deux heures sur le dérailleur sans parvenir à le ramener à la vie. Mon incompétence en termes de mécanique vélo me pèse de plus en plus. J’irai prendre un cours, l’hiver prochain. La fillotte m’emmène donc avec la Gaxuxa chez un mécano qu’elle connaît (pas les potes de son frère). À la fin de la journée, tout est arrangé et le départ est fixé à l’aube du lendemain.
Il pleut depuis trois heures du mat. J’attends que les éclairs se calment, que les trombes diminuent, mais je pars quand même. J’ai la gorge serrée et j’espère secrètement avoir des ennuis encore pour rester quelques jours de plus. Malheureusement, tout se passe bien. Je roule fort, mais j’ai pas trop envie de m’agonir dans les collines. Arrivé à la Vistule, j’avise un petit camping et j’y fais mes quartiers. Depuis L’viv, où une réceptionniste du Kosmonaut Hostel m’a offert de copier l’anthologie de Led Zeppelin, j’ai leurs pièces en tête. La ville où je dors ce soir ? Dududuh-tomp-dududh, dududh-tomp-dududuh : Kaszimirz.© Éric McComber

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