L’éditorial de Daniel RIOT pour RELATIO :Thierry Breton (que je connais depuis bien longtemps) est un homme d’une intelligence peu ordinaire. Cela l’a conduit avant ses carrières industrielles et ministérielles à écrire des livres et à avoir des vues prospectives d’une pertinence exceptionnelle. Il affiche une de ces lucidités que l’on aimerait voir plus répandues. C’est en raison même de ses qualités que sa prestation devant les sénateurs laisse dubitatif…
«Transparent», mais «pas convaincant» dit, devant des journalistes, Philippe Marini, le rapporteur UMP de la commission des Finances du Sénat. Un bon résumé. Pourquoi ?
A trop clamer que « L’Etat a eu un comportement exemplaire », en s’abritant un peu maladroitement derrière des structures (logiques en régime capitaliste) dont ses prédécesseurs sont responsables (Fabius et DSK) et en avouant sa méconnaissance voire son ignorance de « l’affaire », l’ex-locataire de Bercy a paru très gêné par les questions des parlementaires… qui comprennent mal pourquoi cet ex-consultant n’ait pas su se faire mieux écouter par les dirigeants d’EADS…
Quand Manfred Bischoff (Daimler) et Arnaud Lagardère sont venus, en novembre 2005, l’informer de leur intention de céder leurs parts (7,5 % du capital chacun), il leur a signifié sa « très grande réserve»… Pas plus ?
Et quand la Caisse des dépôts - un organisme public - a racheté une partie des actions de Lagardère, il l’a appris «en lisant la presse»… Heureusement qu’il ne lit pas que « l’Equipe », notre actuel prof d’économie à Harvard, contrairement à ce que disent les « Guignols »… Manque d’autorité, là, manque de contrôle de ses services (directs et indirects) ici… Oh ! Thierry, ils étaient pourtant bon vos livres sur « La fin des Illusions » et sur « La Dimension invisible »…
On comprend que Christine Lagarde qui avait pris la défense de son ministère avec force, comme par réflexe, se ravise et exige une enquête interne… C’est la moindre des choses, peut-on dire sans rire.
LagardereQui plus est, un fait et une chronologie jettent un sérieux trouble. Le 8 mars 2006, le directeur adjoint du cabinet de Breton apprend de la bouche du directeur financier de Lagardère que ce dernier, (« mon frère », dit de lui Nicolas Sarkozy) s’apprêtait à vendre sa participation. L’information est transmise immédiatement à l’APE, l’Agence des participations de l’Etat. Mais elle ne sera rendue publique que le 5 avril. Pourquoi ? Or, entre-temps, les hauts dirigeants d’EADS ont vendu massivement leurs actions. Etrange, non ? Surprenant, non ? C’est l’un des points que l'inspecteur général des finances Bertrand Schneiter (à qui Lagarde a confié l’enquête) devra éclaircir. Avant jeudi !
Il est un autre point d’ombre : qui peut croire, en connaissant un peu la « maison » que la Caisse des Dépôts et Consignations puisse acquérir un tel paquet d’actions d’une entreprise européenne hautement stratégique sans que les autorités politiques en soient averties ?
La Caisse des dépôts et consignations affirme haut et fort avoir agi de façon « autonome » et sans instruction de la part de l'Etat. C’est beau l’indépendance ! Mieux : elle confirme qu'elle se joindrait à la procédure qui serait engagée à l'issue de l'enquête en cours menée par l'Autorité des marchés financiers (AMF) s'il apparaissait que des agissements aient pu lui nuire en tant qu'actionnaire. Nous voilà rassurés. Pas vous ?
En tous cas, si l’Etat a eu une « conduite exemplaire », ses « serviteurs » n’ont pas eu, visiblement, la conduite qui s’imposait. Ni financièrement, ni politiquement, ni moralement.
Au-delà des personnes en cause, n’est-ce pas là l’une des illustrations de cette connivence presque institutionnalisée entre les « milieux d’affaires », ces artistes de la géofinance, ces virtuoses de « l’économie casino », et les « sphères politiques »…qui devraient, par définition, placer les intérêts de la Cité (au sens large du terme) avant ceux des champions de la « corbeille ». De cette « Corbeille », où selon de Gaulle, ne devrait pas se faire la politique de la France…
Mais depuis le général, la « Corbeille » a pris une influence que la politique n’a plus… L’Italie a eu Berlusconi : elle n’en est pas encore guérie. Et le « berlucosnisme » n’est pas qu’une spécialité italienne : « l’esprit Dallas » fait trop de ravages. Ce qui ne nous empêche pas de « réfléchir », à la demande de Sarkozy et sous l’autorité de Rachida Dati, à une « dépénalisation du droit des affaires ». Une urgence, on vous dit ! Un impératif ! Une réforme qui s’inscrit dans la profonde réforme de la justice « souhaitée par les Français qui ont élu Nicolas Sarkozy ».
Ben voyons … Si la croissance est en panne, est-ce parce que « l’esprit Dallas » est trop freiné au pays de Colbert par une justice pénale trop sociale ?... Si les dettes françaises sont aussi vertigineuses, est-ce parce que la « droits des affaires » secrète trop de vilaines « affaires » qui empêchent de « belles » affaires ?...
Réformer le droit des affaires, peut-être : là comme ailleurs, il y a trop de lourdeurs et d’arbitraire bureaucratiques. Mais, attention ! « L’esprit Dallas » voudrait que « l’affairisme » devienne un droit….
Au fait, (on passe d’une affaire à l’autre, c’est cela le dynamisme !), il a toujours ses nobles fonctions au Medef, le sieur Denis Gautier-Sauvagnac. « Négociateur en chef sur la modernisation du marché du travail » : voilà un joli titre, non ? Surtout pour quelqu’un qui reste présumé innocent mais qui a opéré des retraits de fonds qui dépassent l’entendement de gens normalement constitués…
Aux dernières nouvelles, deux autres comptes bancaires suspects ont été découverts par les policiers de la brigade financière (BF) enquêtant sur les retraits de fonds qu'aurait opéré Denis Gautier-Sauvagnac dans une caisse de l'Union des industries des métiers de la métallurgie (UIMM).
Selon l’Express, le négociateur du Medef aurait sorti en liquide, entre 2000 et 2007, non pas cinq mais quinze millions d'euros sur le compte de l'UIMM. Tout augmente… Il y a trop de zéros pour qu’un esprit ordinaire (vous et moi) voit la montagne que cela représente…
Piment de plus : la piste privilégiée par les enquêteurs concernerait le financement occulte des syndicats, ce qui ferait de cette affaire « une bombe politico sociale », toujours selon l’Express. Les syndicats s’en montrent outrés, évidemment. Attendons… puisque Denis Gautier-Sauvagnac a nié toute malversation.
Mais si cette piste se vérifie, nous aurions là une version originale du grand rêve (gaullien) de l’association « capital-travail). « L’esprit Dallas », c’est d’abord la culture du résultat, le culte de la fin et… l’occultation des moyens. « JR » n’est pas méchant mais cyniquement efficace.Dans un "univers impitoyable".
Cela dit, nous attendons aussi des nouvelles …d’Allemagne. Car le scandale EADS, puisque scandale il y a même si l’enquête n’est pas terminée, est franco-allemand. Or, pour l’heure, du coté de chez Daimler (et de la Chancellerie), c’est plutôt une discrétion étourdissante :il est des silences qui font du bruit !
Impression et supputation : le refus politique allemand d’ « allonger » les euros nécessaires à Galiléo ne s’explique-t-il pas en partie par le trouble provoqué par cette secousse EADS ? Cela se comprendrait… C’est en cela d’ailleurs (aussi) que nous parlions ici d’un « crime contre l’Europe ». Un crime commis au nom de « l’esprit Dallas ».
Daniel RIOT
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