Un nouveau train de chemin de fer, qui a mérité le nom de train-éclair, vient d'être établi entre Paris et Marseille. Ce train part de Paris à huit heures trente-neuf minutes du matin et arrive à Marseille à onze heures du soir. Le trajet dure donc quatorze heures vingt minutes. Mais, si nous voulons nous rendre compte de la vitesse de ce train, il faut supprimer deux demi-heures d'arrêts aux buffets de Lyon et de Tonnerre ; il faut supprimer encore une heure perdues aux diverses stations d'arrêts ; de telle sorte que le trajet réel s'effectue en treize heures. Le voyage aura une durée réelle de treize heures lorsque nos compagnies, imitant ce qui a lieu en Amérique, se seront décidées à installer un buffet dans le train lui-même.
La distance de Paris à Marseille étant de 864 kilomètres, le train est animé, par heure, d'une vitesse de 72 kilomètres, soit 18 lieues de 4 kilomètres. Si l'on songe que le train doit modérer sa vitesse au moment où il va atteindre les courbes, on comprend que cette vitesse moyenne de 18 lieues à l'heure doit correspondre à un mouvement encore plus accéléré quand les rails suivent une ligne droite.
Nos locomotives ordinaires, selon qu'elles sont attelées à des trains omnibus ou à des trains express, marchent plus ou moins vite. Dans le premier cas, elles font 9 lieues à l'heure, la moitié du temps que parcourt notre nouveau train dans le même temps.
Les locomotives les plus généralement employées aujourd'hui pour remorquer les trains de grande vitesse sont du modèle Crampton. D'un poids moyen de 30 000 kilogrammes, elles entraînent 12 à 16 voitures pesant de 100 à 130 tonnes (la tonne est de 1000 kilogrammes), avec une vitesse qui, stationnement compris, s'élève à 60 kilomètres par heure, soit 15 lieues de 4 kilomètres. Une locomotive Crampton, sans son tender, c'est-à-dire sans le chariot d'approvisionnement qui porte l'eau et le charbon, coûte 65 000 francs.
On reconnaît, à première vue, les trains rapides ; leurs roues ont un diamètre beaucoup plus grand : on comprend en effet que, pour un même nombre de coups de piston ou de tours de roue, le chemin parcouru, c'est-à-dire la circonférence de la roue, sera d'autant plus grand que ces roues auront un plus grand rayon.
Déjà nous avions un train rapide de Paris à Bordeaux, dont la vitesse (63 kilomètres à l'heure) dépassait celle des express ; le nouveau train qui conduit à Marseille est certainement le meilleur, mais il n'est pas, tant s'en faut, le plus rapide. C'est l'Angleterre que les locomotives ont jusqu'à ce jour atteint la plus grande vitesse : 80 kilomètres à l'heure ; il n'y a évidemment pas de raison pour que nous n'obtenions pas en France ce résultat.
Il n'es jamais inutile de jeter un coup d'oeil en arrière et de mesurer l'étendue des conquêtes de la science.
Que de progrès accomplis depuis le jour où l'ingénieur français Cugnot, en 1770, imaginait la première voiture à vapeur !
On s'extasiait alors devant la curieuse machine, qui cependant s'arrêtait tous les quarts d'heure, afin de permettre le renouvellement de la provision d'eau et la transformation de cette eau en vapeur ! On récompensait l'auteur de cette voiture extraordinaire qui, sans cheval, parcouraient quatre lieues à l'heure ; la curiosité publique était vivement excitée.
Aujourd'hui nous ne nous étonnons plus de rien ; nous profitons des progrès réalisés sans nous soucier, le plus souvent, de leurs auteurs. Combien d'entre nous connaissent le nom de Seguin, cet ingénieur français qui, par une simple invention, simple comme toutes les inventions de génie, a permis à nos machines de
Il n'y a pas cinquante ans que le premier chemin de fer transportait des voyageurs entre Liverpool et Manchester.
Un concours avait été ouvert en Angleterre entre tous les constructeurs. Ce fut la locomotive la Fusée, construite sur les plans du célèbre ingénieur anglais Stéphenson, et perfectionnée d'après le système Seguin, qui remporta le prix. Cette belle machine, qui excita l'admiration du monde entier, faisait 12 lieues à l'heure, et on ne pouvait penser que sa vitesse serait un jour presque doublée ! Ce résultat était déjà obtenu en Angleterre ; nous venons de dire qu'il est presque atteint depuis la construction du train-éclair.
A. BERTALISSE - 1880