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"Là-haut"

Publié le 09 août 2009 par Jb

Note : 10/10

WALL-E avait placé la barre très haut. Et pourtant : Là-haut (en même temps, normal vu son titre), des mêmes studios Pixar, est encore un cran au-dessus.

Les points communs avec WALL-E sont nombreux : même goût pour les intrigues relativement simples permettant de ménager au film de longues plages poétiques et philosophiques. Même facilité à créer des séquences très denses en émotion alors que l'on est censé aller voir un dessin animé avec toutes les représentations ("c'est pour les enfants") que cela véhicule. Même virtuosité technique au service d'une histoire qui oppose le haut et le bas, la terre et le ciel, la pesanteur et la gravité.

Mais pourquoi Là-haut surpasse-t-il encore WALL-E ? Pour le comprendre, sans doute le début du film est-il la meilleure clé d'entrée. En quelques instants, c'est toute la vie du "héros" du film (Carl, un vieil homme de presque 80 ans) qui est saisie et qui défile. Un sentiment qui donne les frissons, qui nous mène d'un enfant avec ses rêves (devenir un explorateur, accomplir une promesse qu'il a scellée avec l'un de ses amis) à un jeune adulte qui rencontre la femme de sa vie et qui l'épouse, à un couple qui se bâtit son petit nid d'amour, qui ne peut malheureusement pas avoir d'enfants, qui se laisse simplement dépasser par la vie de tous les jours, ce qui va les conduire à une existence certes heureuse mais qui ne leur permettra pas d'exaucer leurs rêves, une existence qui va passer à toute vitesse et qui va laisser Carl veuf. C'est aussi simple que ça, cela tient en quelques minutes, mais il y a dans cette accélération temporelle quelque chose d'infiniment puissant, de profondément émouvant et de tragique à vrai dire, puisque inéluctable, qui fait basculer d'emblée Là-haut dans quelque chose de métaphysique et de franchement pascalien.

Comment, après une séquence aussi définitive, le film peut-il encore continuer sans sombrer dans le suicide ? C'est un peu la question que l'on se pose en tant que spectateur, mais la réponse au fond est évidente : que peut-on faire d'autre que continuer malgré tout ? Là-haut intègre donc ce que la condition humaine a tout à la fois de plus triste et de plus noble, le fait d'aller de l'avant malgré la peine, la solitude et la vide béant laissés par la mort des êtres aimés.

Carl pourrait tout simplement crever à l'hospice comme la plupart des vieux dans les sociétés contemporaines, seulement un résidu d'amour-propre, d'esprit d'aventure, de fidélité à sa vie et à sa femme, va le faire basculer vers tout autre chose : plutôt qu'être exproprié et voir la maison dans laquelle il a connu tous ses moments heureux être détruite, il préfère s'envoler avec elle, grâce à des milliers de ballons multicolores gonflés à l'hélium qui vont la transporter vers l'Amérique du Sud, sorte de "terre promise" fantasmée depuis toujours et vers laquelle il aurait tant souhaité convoler avec sa femme.

Je passe sur les péripéties qui l'attendent, sur le fait qu'un garçonnet grassouillet (Russell) et assez seul dans la vie (un point commun avec Carl) va s'embarquer dans cette aventure à son insu, sur les délires loufoques et très marrants liés à des chiens qui parlent et un oiseau rare complètement crétin, pour en venir à ce qui, à mon avis, constitue la substance du film. Il s'agit de la tension et finalement de la lutte entre le passé et l'avenir. Pendant presque tout le film, même si Carl a su s'envoler avec sa maison, s'arracher à une fin de vie tracée d'avance, ce qui est évidemment un acte d'un grand courage et une action "positive", le vieil homme est malgré tout entièrement tourné vers le passé, incarné par sa femme. La maison, laissée au millimètre près telle qu'elle l'était lorsqu'ils vivaient tous les deux, ressemble à une sorte de mausolée entretenant le flambeau du souvenir et de la nostalgie.

Il ne serait pas exagéré de dire que Carl n'a pas pu (pas voulu) "faire le deuil" comme on dit aujourd'hui, que la mélancolie constitue son univers et que, loin de vraiment le faire souffrir, cette atmosphère emprisonnante le berce et l'apaise d'une façon un peu malsaine. Et pourtant, à la fin du film, lorsqu'il doit sauver Russell des griffes d'un explorateur ermite devenu fou (comme quoi le mythe et l'idéal sont souvent fracassés par le réel), Carl va être obligé de faire un choix. Soit il abandonne les reliques de sa vie passée pour alléger sa maison et la faire encore voler, soit il ne parvient pas à se débarrasser de ces objets raccrochés au passé et non seulement il s'écrase avec sa maison, mais en plus il abandonne Russell, la jeunesse, l'enfance.

C'est l'autre moment très émouvant du film, lorsque Carl jette par-dessus bord tous ces objets chargés d'affects et de souvenirs, tous ces objets qui, au final, représentent toute une vie. Symboliquement, c'est évidemment une façon de renoncer à rester perdu dans le passé et ses vestiges (en anglais, le terme "remains" signifie à la fois le vestige, la relique, mais aussi ce qu'il reste) et de s'ancrer enfin dans le présent et l'avenir, même si se délester ne signifie pas oublier. Il s'agit d'un moment "nietzschéen" et d'affirmation de la vie, contre les puissances plus sombres de la dépression et du soleil noir.

Au fond, telle est réellement l'histoire de Là-haut : la tension entre ici et ailleurs, avant et après, en haut et en bas, tristesse et joie, sans jamais sombrer dans le manichéisme. Dans le monde du cinéma d'animation, il y a donc désormais deux voies (et deux voix) qui s'adressent aux adultes et pas seulement aux enfants : celle de l'animation japonaise et celle de l'animation made in Pixar.


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