Je suis dans notre bibliothèque et je bois du mauvais claret avec de la limonade. Le chat est posé sur le canapé de lecture. Mon cendrier va déborder et je n'ai rien à dire. Rien à penser non plus. J'allume une énième cigarette. J'écoute la soufflerie de l'ordinateur. Si j'avais quelque chose de précis à dire, avec la prétention de l'écrire au mieux, je ne prêterais aucune attention à cette exhalaison de la machine. Je ne regarderais pas le dossier cartonné qui berce la tête du chat. J'aime à me trouver dans cet état du rien. Il aiguise ma conscience alors même qu'elle pourrait disparaître, là, à la faveur d'une autre gorgée de vin. Quand on se trouve dans quelque chose, à dire, à faire, à réfléchir, c'est toute la disponibilité à soi qui fout le camp. Le vagabondage n'est plus possible. L'esprit et le corps sont tellement accaparés. Aussi, je vagabonde dès que j'en ai l'occasion. Et le réel caché m'apparaît. Ce peut être un reflet sur le bras d'un fauteuil, un poil de travers dans la tignasse du chat ou un grain de plâtre tombé du mur. Et c'est ainsi que je repousse les frontières du monde. Voilà. Il est vingt-trois heures seize. Mon impromptu est fini. Il reste du vin dans la bouteille, des cigarettes dans mon paquet. Demain, je serai encore vivant avec mon rien.