Avec ce deuxième rendez-vous pré-programmé pour
le mois d'août, je voudrais vous proposer, ami lecteur, un article de l'égyptologue belge Jean Capart, dont nous découvrons certains écrits depuis le début de ces vacances scolaires, publié par le journal Le Soir du 14 mars 1927.
Nous revenons d'une visite au tombeau de Petosiris. Ne cherchez pas dans les guides d'Egypte, ni dans les programmes des agences de voyage; nulle part vous ne
trouverez mention de ce beau monument. Comme cela arrive souvent en Egypte, il a été découvert par hasard. Les agents du Services des Antiquités ayant appris que les Arabes allaient chercher dans
la montagne des pierres sculptées, purent intervenir à temps pour empêcher la destruction entière d'un des plus curieux tombeaux de la Vallée du Nil. Il est à craindre néanmoins, que le monument
reste longtemps encore inaccessible aux touristes et même aux archéologues.
Pour nous y rendre, nous partons d'Abou Kerkas. Sur les routes, nous sommes surpris de croiser des autobus indigènes dont le nombre de places paraît limité. Il
faut voir comme les gens s'y entassent, s'accrochent aux garde-boue, aux marche-pied, s'installent sur le toit. Après une heure et demie de course rapide en auto à travers les cultures
florissantes, nous arrivons au Bahr Youssef, le grand bras de dérivation du Nil vers le Fayoum. Là, nous sommes accueillis par les notables du petit village de Deroua qui ont tout préparé pour le
passage du canal et la course au désert.
Notre petite caravane est des plus pittoresque et fait sensation dans les ruelles sordides qu'elle traverse. Elle ne se compose pas seulement de notre groupe mais encore
de plusieurs personnages des environs qui tiennent à nous faire escorte, entre autres, un conseiller municipal d'Abou Kerkas qui a de belles cartes de visite libellées en français, bien
qu'il ignore complètement cette langue. Nous emmenons en outre les nombreux indigènes qui nous prépareront tout à l'heure un repas pantagruélique suivant toutes les traditions de
l'hospitalité arabe. Rien de plus amusant que le tableau formé par deux grands moricauds à califourchon sur un petit baudet, et dont le premier porte solennellement le réchaud à pétrole qui
servira de fourneau de cuisine.
Les champs sont bientôt traversés et nous abordons la région désertique. Où est le tombeau de Petosiris ? Un grand geste vague vers l'horizon nous désigne un point
de la montagne où se remarquent quelques rochers : c'est ce qu'on appelle Touna el Gebel. A cet endroit s'attache un souvenir tragique : un jeune archéologue français s'y est tué, il
y a quelques années, en tombant du haut de la falaise.
Ici, plus de route marquée. Nous cheminons à travers les dunes de sable, guidés par les gardes du Service des Antiquités, qui courent pieds nus devant les montures, le
fusil en bandoulière.
Après une heure de chevauchée, nous apparaît brusquement le tombeau de Petosiris. On l'a dégagé d'une colline artificielle formée par le sable que le vent chasse et qui
s'amoncelle entre les constructions antiques. A quelques mètres en arrière, des coulées de sable viennent de mettre à nu l'angle d'un second monument du même genre.
Ce qui donne une valeur exceptionnelle au tombeau que nous sommes venus visiter, c'est qu'il constitue la sépulture de famille d'un grand prêtre du dieu Thot,
d'Hermopolis, une des capitales théologiques de l'Ancienne Egypte. Petosiris vivait à une époque particulièrement troublée, entre la deuxième domination perse et le commencement de l'ère des
Ptolémées.
Les inscriptions du tombeau retracent la carrière du grand prêtre, zélé restaurateur des temples et habile administrateur des biens de son dieu. Les scènes sculptées et
peintes qui couvrent tous les murs montrent Petosiris et les membres de sa famille se livrant à leurs occupations journalières. Elles reproduisent également les funérailles, les rites
compliqués qui les accompagnent et présente le catalogue des divinités des régions où parviennent les bienheureux. Plusieurs textes comptent parmi les plus précieux que nous possédions pour
l'étude des idées religieuses et morales des Egyptiens. Le style des reliefs est une surprise pour les connaisseurs de l'art pharaonique, car on y relève de nombreuses particularités qui ne
s'expliquent que par une influence de l'art grec.
Au retour, nous sommes passés par les ruines lamentables mais pittoresques de la ville d'Achmounein qui fut autrefois la grande et prospère Hermopolis. Nous y avons vu
les pierres croulantes et rongées par le salpêtre du temple de Thot, où Petosiris avait exercé le sacerdoce suprême.
(Capart : 1927, 111-6)