DECRYPTAGE RELATIO par Daniel RIOT-- Erreurs d'appréciations à plusieurs niveaux: les élections n'ont rien réglé à KIEV! Trop de certitudes chantées trop tôt, y compris au PPE (le parti populaire européen) qui a trop vite publié un vrai communiqué de « victoire » et s’est trop hâté d’envoyer des messages de félicitations aux partis « orange »… Trop de précipitations dans les commentaires de presse qui ont eu la grande imprudence de se fier aux sondages « sorties des urnes » pour laisser croire que les dés étaient jetés en faveur des pro-occidentaux… Trop de superficialité dans les regards jetés sur cette Ukraine qui connaît une situation sociologique très complexe. Mais comme disait Lénine, « les faits sont têtus »…
Aujourd’hui, nous assistons à un curieux bras de fer, ou plutôt à plusieurs. Entre le camp des réformateurs pro-européens et le camp pro-russe. Et au sein de chacun de ces camps ! Ce qu’ont pu se dire en ce vendredi à Paris Nicolas Sarkozy, l'ancien président américain Bill Clinton et le président ukrainien Viktor Iouchtchenko sur la situation intérieure ukrainienne relève bien sûr du « secret d’Etat ». Et l’ITW accordée par le chef de l’Etat ukrainien au Figaro et à France 24 ne contient aucun scoop.
>>> « Nous avons démontré, une fois de plus, que l’Ukraine savait mener des élections démocratiques. Mais ces résultats sont uniques en leur genre. Car, d’un côté, la coalition démocratique a vaincu, le choix européen a vaincu. Mais, d’un autre côté, le Parti des régions garde un tiers des voix au Parlement. Il est donc clair que sans dialogue entre les forces démocratiques et les régions, on ne pourra pas faire travailler ce Parlement. Les trois partis doivent se mettre d’accord ».
Joli constat de réalité. Mais le propre parti d’ Ioutchenko est contre et celui d’ Ioulia Timochenko aussi. Alors ?
>>> « La démocratie ukrainienne a vaincu de trois voix. Ce qui veut dire que oui, il y a de quoi former une majorité démocratique. Mais on ne pourra démarrer le travail du Parlement si les députés des régions ou les socialistes boycottent ce dernier. Je ne parle pas de grande coalition, mais du dialogue nécessaire entre les trois forces politiques, lequel dialogue pourrait devenir le feu vert pour commencer les sessions parlementaires. Exemple : les forces « orange » forment une coalition mais le dialogue permet à l’opposition, pour la première fois dans l’histoire de l’Ukraine, d’avoir des portefeuilles ministériels, et aussi des comités et des postes au Parlement. Je propose une coexistence paisible dans un régime constructif. »
Beau dessein. Mais tout dialogue exige que l’on soit au moins deux à être d’accord pour prendre langue…Ce qui ne semble pas le cas !
>>> « ll faut en finir avec les caprices politiques ».
Evidemment, mais n’y a-t-il pas « caprice » aussi ou du moins calcul politicien chez les Président qui pense (aussi) aux prochaines présidentielles ?
Selon des informations que nous n’avons pu vérifier, la formation d'une coalition pro-occidentale devrait cependant être annoncée dimanche avec Ioulia en PM, après la publication des résultats définitifs des législatives de la semaine passée.
Peut-être : le bloc pro-occidental de Ioulia Timochenko est arrivé en tête des élections du 30 septembre avec 45% des voix et 228 sièges devant le camp pro-russe du premier ministre sortant Viktor Ianoukovitch (40% des suffrages et, au maximum, 22 sièges)
Ce scénario pourrait être durable si le pouvoir de Kiev (quel qu’il soit) n’était pas tributaire d’influences extérieures antagonistes :
* L’Union européenne soutient les « démocrates », mais elle réclame (comme le Conseil de l’Europe évidemment) de vrais progrès en matière de droits de l’homme. Les Vingt-Sept applaudissent la « Révolution orange », mais se gardent bien d'offrir à Kiev une perspective claire d'adhésion à l’UE.
* Les « manigances de la Russie » voisine ne sont en rien négligeables. Moscou accuse les américains et les Européens d’ingérence, mais le Kremlin a ses hommes à lui sur le terrain…. Et la Russie ne manque pas une occasion de rappeler à l'Ukraine son statut de «puissance vassale». La décision russe de renégocier les livraisons de gaz au gouvernement de Kiev si celui-ci n'acquitte pas ses 1,3 milliard de dollars d'arriérés - de nouveaux pourparlers avec le géant russe Gazprom sont prévus lundi à Moscou - est d’ailleurs interprétée par les observateurs comme la raison majeure du retournement présidentiel.
L'idée de grande coalition, qui permettrait aux pro-russes de conserver plusieurs portefeuilles ministériels sensibles, a, en effet, l'aval de Vladimir Poutine qui ne peut pas voir en peinture (ou en photo) Ioulia Timochenko, (ancienne patronne de l'Ukrainian Oil Corporation), très bonne connaisseuse des questions énergétiques, qui veut renégocier l'ensemble des accords existants avec la Russie.
Ce n’est sans pas un hasard si Le président ukrainien a déjeuné à l’Elysée avant le voyage que Sarkozy doit faire à Moscou. Et avant le sommet UE-Russie du 25 novembre. « Maintenant que Vladimir Poutine a confirmé son désir de rester aux commandes de la Russie, et vu la tension existante autour du «pacte énergétique» que Moscou refuse toujours de signer avec l'Union, le dossier ukrainien risque d'en faire les frais. », souligne un observateur suisse du « Temps ». C’est un risque dont le président ukrainien a pleinement conscience. Mais c’est un risque de la « ressuscitée du scrutin », Ioulia Timochenko est prête à affronter avec plus d’audace que Viktor Ioutchenko.
Le feuilleton de Kiev est loin d’être terminé…
Daniel RIOT