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Quelques mots pour un funambule...

Publié le 07 août 2009 par Sarah Oling

Dix huit heure trente. Depuis ce matin, je tourne autour de l’impossibilité de mettre en mots et de l’impérieuse nécessité de le faire ce qui me lie désormais à Vous, dont je ne connais pas même le nom. Je ne sais que votre brutale et si brève apparition dans mon champ de vision, là, en face de moi, à quelques étages au dessus. Je vous ai entendu crier, il était environ 5 heures, il faisait encore nuit et si chaud déjà…Votre voix résonnait dans le silence, mêlée à un bruit d’objets remués violemment ou jetés peut-être. Rien à cette heure là ne me sembla clair, je vous croyais en bas, dans l’avenue Roberto Rossellini, suppliant que quelqu’un appelle la police. Ce que je fis, comme d’autres d’ailleurs.

Ce n’est que vers 6h, le jour s’étant levé, que je compris en levant la tête pour apercevoir le soleil naissant que cette journée prenait un très mauvais départ. Je vous ai vu, au quatorzième ou quinzième étage, assis les pieds dans le vide, agité, si agité que je commençais à trembler. Et à prier, une prière muette, adressée aux forces invisibles, pour qu’elles vous lient encore un peu à notre monde. J’ai rappelé la police, que pouvais-je faire d’autre ? Sur leurs conseils, pour éviter de vous provoquer involontairement, j’ai refermé les fenêtres, mais pas mon cœur…Ce violent sentiment d’inutilité qui me saisit alors, j’en ressens encore le goût âpre.

C’est vers 10h30 que je décidais d’ouvrir les fenêtres à nouveau, avec la folle espérance que les pompiers et les policiers qui avaient envahi le toit et les appartements voisins vous aient ramené de l’autre côté de votre désespoir. En une fulgurance, je vous ai vu vous pencher, puis tomber.

Pendant près de six heures, j’ai vécu à votre rythme, je ne sais ce qui a provoqué votre geste, je sais simplement que vous avez violemment percuté mon existence en décidant de mettre fin à la votre. Et cela m’a ramené à des images que je croyais distanciées… Celle de l’explosion de ma rue, la rue Jubin à Villeurbanne, en avril 2001, où je tenais dans ma main celle  d’une jeune femme blessée, après avoir vu mourir un pompier à mes côtés. Celle de scènes de ma vie de journaliste, où acteur et spectateur à la fois, je devais assurer des « directs » alors que des personnes perdaient leurs vies tout près de moi…Et d’autres encore qui appartiennent à mon histoire. Et que je vais devoir aller chercher au plus profond pour qu’elles ne m’étouffent pas un jour, par l’impuissance que j’ai, comme tout le monde d’ailleurs, à empêcher un être humain de décider de s’abstraire de sa propre vie.


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