Pourquoi cette comparaison ? Pour mettre en évidence que chaque suicide en prison fait maintenant l'objet d'un fait divers conscieusement relayé par les médias alors que les 400 tentatives quotidiennes sont passées sous silence. 400. Oui, près de quatre cent personnes tentent chaque jour de mettre fin à leurs jours et pas un média pour relayer leur appel et l'on s'émeut parce qu'il y a un suicide tous les 3 jours en prison. 1 prisonnier tous les 3 jours pendant qu'une centaine de personnes se seront suicidées dans le même temps dans le silence le plus total.
Il faut croire que titrer tous les jours "Aujourd'hui, suicide de 30 personnes en France !" ce ne doit pas être vendeur. Comme on ne titre pas quotidiennement "10 morts sur la route aujourd'hui", cela deviendrait lassant. Un tous les 3 ou 4 jours, avec un petit record en perspective, c'est bien, cela permet de maintenir l'intérêt sans devenir ennuyeux... Et la ministre d'agir pour ne pas être dans le Guinness...
Alors bien sûr, il ne s'agit pas de se réjouir des suicides en prison et il est nécessaire d'agir pour donner des conditions d'emprisonnement décentes afin que celles-ci ne s'ajoutent pas à la privation de liberté. C'est ainsi qu'il est compréhensible que Mme Alliot-Marie commande un nouveau rapport sur les prisons quoique l'on ne soit pas dupe du fait que sa demande ne relève nullement de l'altruisme mais de l'inquiétude qu'il y aurait à battre un tel record sous son ministère sans pouvoir sortir un parapluie.
Mais sait-on réellement quelle est la part de motivation des suicides entre les conditions de vie, les remords et la privation de liberté ? N'est-il pas finalement bien compréhensible de vouloir en finir lorsqu'on se sait condamner à passer 23 h par jour dans une cellule de moins de 9 m² ? N'est-ce pas un reste d'humanité qui pousse à en finir lorsque l'on se rend compte de l'horreur de ses crimes ? N'est-ce pas un sadisme supplémentaire de supprimer les fourchettes, les couteaux les ceintures, les lacets, de fixer le mobilier au mur et de fournir des draps en papier pour éviter qu'un condamné ne décide lui-même de mettre fin à ses jours ? N'est-ce pas se donner bonne conscience pour tout faire pour ressusciter le suicidé afin de le remettre ensuite à croupir dans son cachot ? N'est-ce pas une privation supplémentaire d'interdire aux prisonniers l'ultime liberté d'en finir dont disposent tous ceux qui sont dehors sans que nul n'y trouve à redire ?
Et pour les suicides à l'extérieur des prisons ? Nous posons nous assez la question des résultats de notre individualisme forcené qui nous fait ignorer tout ce qui ne nous touche pas directement, a commencer par les appels de détresse ? La question du stress au travail dans cette quête effrénée du toujours plus ? La déshumanisation toujours plus grande de nos sociétés aseptisées, politiquement correctes ?
Un prisonnier meurt tous les 3 jours quand 2 jeunes de 15 à 24 ans en finissent chaque jour... Pourquoi sommes nous interpellés par le sort des prisonniers et pas par ceux qui avaient toute la vie devant eux, une vie que nous n'avons pas su leur rendre attractive dans la société que nousa vons construit collectivement ?
Alors oui, on peut exiger un nouveau rapport sur les suicides en prison mais ce ne serait pas du luxe d'en faire un autre sur les suicides en dehors des prisons.
Le problème, c'est que comme pour les accidents de la route, la bonne conscience n'est pas encore passée par là...