Paru en 2008, l'album Douze Hommes rapaillés met en chanson 12 poèmes de Gaston Miron. Un projet magnifique signé Gilles Bélanger et Louis-Jean Cormier auquel se greffent 10 chanteurs, dont Michel Rivard et Jim Corcoran. Place au concert.
La lune d'automne brille au-dessus de la ville tapissée de feuilles mortes. Nous sommes en 2007. Entre deux séances d'enregistrement du troisième disque de Karkwa, Le Volume du vent, le chanteur-guitariste Louis-Jean Cormier est assis devant le compositeur Gilles Bélanger dans une chaumière du Plateau-Mont-Royal. Il l'écoute jouer, seul à la guitare acoustique, 12 chansons composées à partir de poèmes de Gaston Miron. Les deux musiciens se connaissent bien. Louis-Jean a longtemps été guitariste aux côtés de Chloé Sainte-Marie pour qui Gilles a d'abord transposé des écrits de Miron en musique à la fin des années 90. En cours de route, Gilles avait eu l'idée d'un album complet en hommage à l'auteur du mythique recueil L'Homme rapaillé. Louis-Jean allait être son homme de main.
"Toutes les bases de l'album ont été jetées cette soirée-là", raconte Louis-Jean Cormier en entrevue. "Je me souviens encore, j'étais ben buzzé sur les Reactines à cause du chat de Gilles auquel je suis allergique. Il me jouait un morceau, on discutait de l'arrangement, et on lui trouvait un interprète en fonction de la couleur qu'on souhaitait lui donner. C'est comme ça que je travaille lorsque je réalise l'album d'un autre. Je lui demande de me jouer ses chansons brutes à la guitare acoustique. Je discute à chaud de mes idées. J'aime tire-bouchonner les compositions des autres. Parfois, on avait un flash. Dès le départ, nous savions que Daniel Lavoie devait chanter Ce monde sans issue (une pièce belle à faire brailler). D'autres fois on cherchait plus longtemps. Je proposais les jeunes (Martin Léon, Yann Perreau, Vincent Vallières) et Gilles pensait aux vétérans (Jim Corcoran, Michel Rivard, Richard Séguin, Plume, Michel Faubert, Pierre Flynn)." Les deux principaux protagonistes sont arrivés à un contingent de 12 chanteurs, 12 hommes rapaillés.
Lancé en novembre 2008, l'album a conquis la critique en plus de se vendre à 25 000 exemplaires. Pigeant dans ses influences minimalistes à la Steve Reich, Cormier a su enrober les pièces de Gilles avec finesse et sobriété, un folk magnifique et adapté à l'écriture du poète. "Comme Gaston Miron était un gars du peuple, quelqu'un au bagage folklorique bien enraciné, mais qui flirtait également avec le milieu des arts contemporains et de la musique actuelle par le biais des Nuits de la poésie, c'était important de conserver quelque chose de très organique pour le disque. Il ne fallait pas tomber dans des ambiances futuristes électros ou trop sophistiquées. Gilles écrit des chansons super simples et naïves, mais à la fois tellement riches. J'imagine qu'il faut être un vieux sage pour écrire comme ça."
Cet équilibre entre simplicité et richesse fait aussi la force de Gaston Miron, mort en 1996 à l'âge de 68 ans. "C'est un peu ce à quoi rêvent tous les auteurs et chansonneurs: arriver à quelque chose d'aussi évocateur et en même temps si simple. Miron a cette façon désarmante de parler de l'amour. Ça me casse en deux. C'est aussi ce qui est intéressant dans le projet. La veuve de Miron voulait y entendre des voix d'hommes. Je trouve que ça ajoute à l'émotion des morceaux."
Transposées sur scène lors d'un concert événementiel présenté dans le cadre des FrancoFolies, les pièces du compact seront bonifiées de sept autres compositions du tandem Miron/Bélanger interprétées par les artisans de Douze Hommes rapaillés. Remplacés par Yves Lambert et David Marin, Plume et Michel Faubert manqueront à l'appel. Le batteur Marc-André Larocque (Dumas, Lhasa) prendra également la place du percussionniste Robbie Kluster présentement en tournée avec Patrick Watson. "On veut que ce spectacle devienne une célébration du succès du disque et de l'oeuvre de Miron. On veut rester dans l'esprit du poète: vivre un beau party de cuisine axé sur la communion, mais aussi le recueillement."
À voir si vous aimez Daniel Lavoie, Karkwa, Michel Rivard
Article d'Olivier Robillard Laveaux, Voir.ca, le 6 août 2009, photo de Victor Diaz Lamich