Le nouveau secrétaire d'Etat à la Justice, Jean-Marie Bockel, voudrait réformer la justice prud'homale...
Alors que le projet n'est toujours pas écrit, syndicats, magistrats, avocats et patronat s'y opposent d'ores et déjà. Les explications Philippe Masson, responsable des activités juridique de la CGT.
Réforme des conseils des prud'hommes dans leur édition de ce jeudi. Qu'en est-il ?
En l'état, nous avons encore que très peu d'informations. Le 8 juillet dernier, Jean-Marie Bockel, fraîchement nommé au secrétariat d'Etat à la justice, a laissé entendre, lors d'une visite au Conseil des prud'hommes de Paris, qu'une réforme de la justice prud'homale était à l'étude.
Des paroles en l'air ?
Pas du tout. Quelques jour plus tard, le ministère de la justice a tenu à retranscrire, sur son site internet, les propos de Jean-Marie Bockel. Et ce sans prendre la peine d'en informer ni les syndicats, ni les différentes parties intéressées. Ce qui a bien sûr provoqué une levée de bouclier de la part des magistrats, des avocats, des syndicats et du patronat...
Est-ce réellement une surprise ?
Bien évidemment. Parce qu'un tel geste est très maladroit, voire scandaleux, de la part d'un secrétaire d'Etat qui vient d'arriver en poste. Pour une première intervention publique, Jean-Marie Bockel n'a pas ménagé son auditoire. Le Conseil des prud'hommes est une institution au coeur de la régulation sociale en France. Aussi, si de manière récurrente il fait l'objet d'une réflexion et d'actions de la part de lobbies, jamais les pouvoirs publics n'avaient, sans aucune consultation des intéressés, remis en cause de façon si grave le système.
Quelles sont les pistes avancées ?
Deux spécificités du droit prud'homal français sont attaquées, l'oralité des débats, qui permet aux parties en litige de se passer d'un avocat et de se défendre elles-mêmes oralement devant le juge, ainsi que la conciliation obligatoire.
Supprimer l'oralité des débats, cela changerait quoi ?
Aujourd'hui, l'originalité de la procédure des prud'hommes est d'être simple et accessible. Chacun peut se défendre, seul s'il le souhaite, devant un tribunal paritaire. Si on supprime l'oralité des débats, on oblige les parties à recourir à un avocat.
Or la particularité de cette justice est aussi de traiter de litiges aux sommes en jeux relativement faibles. Seules les parties qui seront sûres de gagner iront en justice, sinon elles risqueront d'y perdre financièrement. Des dizaines de milliers de personnes n'auraient plus les moyens de faire valoir leurs droits. Cette réforme serait donc une hérésie pour tous ceux qui croient un temps soit peu en la justice prud'homale.
Une proposition d'autant plus grotesque que ce n'est pas l'oralité des débats qui est à l'origine de l'engorgement des tribunaux. C'est la baisse du nombre de conseillers prud'homaux, voulus par le gouvernement, ainsi que tout ce qui a trait aux procédures de droit commun qui entrave la célérité de la justice en général.
Cette réforme ne permettrait donc pas de gagner du temps et de désengorger les tribunaux ?
Dans un sens si, puisque les gens n'iront plus devant le juge. Pour exemple en 2004, la loi a obligé les parties à recourir à un avocat prud'homal devant la Cour de Cassation. L'effet a été immédiat. Les nombre de pourvoi a diminué de 30%. Si l'on fait la même chose en première instance, on verra automatiquement une diminution drastique du nombre de saisines du Conseil des prud'hommes. Il y aura moins d'affaires à traiter, donc moins d'encombrement...
Et réformer le conciliation, n'est-ce pas une bonne idée, alors que seuls 9% des conflits sont traités par ce mode alternatif de règlement des litiges ?
Certes, il ne faut pas se mentir, dans la plupart des cas aujourd'hui, la conciliation n'aboutit pas. Ainsi il n'est pas rare que cette obligation préalable de conciliation ne soit qu'une simple formalité qui n'oblige malheureusement personne.
Mais la conciliation a du sens, surtout dans la justice prud'homale. Cette dernière part du principe qu'il vaut mieux que le litige se règle à l'amiable hors des tribunaux, puisque les deux parties auront probablement encore affaire ensemble à l'issue du procès. Pour favoriser la conciliation, la réglementation (accord du 11 janvier 2008 sur le marché du travail) oblige que la conciliation ait lieu avant toute saisie du bureau de jugement.
En remettant en cause la conciliation, on admet l'échec des modes alternatifs de résolution des litiges, pourtant voulus par le gouvernement. Une erreur dans cette société qui se judiciarise de plus en plus.
C'est pourquoi la CGT plaide en faveur d'un rappel au droit plutôt que d'un retour en arrière de la loi. Les pouvoirs publics doivent favoriser, appuyer ces démarches plutôt que les enterrer.