C’est vraiment un lieu improbable pour un musée, à l’extrême nord d’Israël dans la pointe qui s’enfonce entre Liban et Syrie, il n’y a pas si longtemps sous les tirs du Hezbollah. Le Musée n’est même pas en ville, mais dans une zone industrielle sans charme, dans un bâtiment de bureaux entre une ‘pépinière’ et BMC Software. J’hésite devant le garde à l’entrée (il y en avait un aussi devant les ‘musées militaires’ de Tel Aviv qui m’a fait passer un interrogatoire en règle avant de me laisser visiter les expositions apologétiques sur l’Etzel et le Lehi), et puis j’entre et je ne le regrette pas. Trois expositions, l’une uniquement en Hébreu sur la mort au combat (assez controversée) d’un partisan sioniste en 1920. Une autre présente dans un vilain couloir une douzaine de belles photos en stéréoscopie datant de 1860/1870 (je crois; explications en Hébreu seulement) montrant la vie rurale et urbaine des Palestiniens : scènes idylliques bien sûr; ce pays était donc habité, avant.
L’exposition principale du Musée de la Photographie de Tel Haï est consacrée aux paysages d’Igael Shemtov, dont j’avais vu une photo à Berlin fin 2007, sans trop m’en souvenir pour être franc. Ce Musée, qui ne semble pas avoir de site web propre, hélas, monte des expositions intéressantes, en général des monographies de photographes israéliens, d’après les catalogues que j’ai pu consulter (et ça m’a donné envie d’en savoir plus sur Shai Ginott et Shosh Kormosh, entre autres). On n’y est pas dérangé par la foule des visiteurs.
Rien ou presque dans les photographies de Shemtov ne dit qu’on est ici, sinon le soleil vertical, la blancheur des pierres ou la silhouette d’un palmier. On n’y voit que très peu de personnes et elles sont toujours ou presque lointaines, fugitives, estompées. La série la plus intéressante est pour moi celle sur Neve Amal (1981) une banlieue pauvre aux maisons modestes. Ces photos frontales, dures, déshumanisées montrent des formes simples, aisément identifiables, instaurant un dialogue entre les détritus, les herbes folles, l’abandon omniprésent, et les grillages, les portails, les séparations entre domaine public et espace privé, les marquages, tout un langage formel qui compose le paysage. C’est un travail sur la forme et la structure qui est présenté ici, bien plus qu’un reportage ’social’. Rien de pittoresque, nul témoignage, mais un travail de composition qui n’a d’autre but que lui-même. Sa série plus ancienne sur Tel Aviv (1976/77) est plus historique, plus architecturale, mais on y trouve déjà ce langage de murs, de volumes, de formes désertes qui composent une image presque cubiste, qui évoque pour moi Paul Strand à Taos. D’une simple armoire électrique ou d’un mur aveugle, il fait surgir une sculpture minimaliste d’une pureté éblouissante. Son ‘Photo Album’ (1979/1980) est plus anecdotique et vernaculaire, moins épuré que les trois autres séries montrées ici, et j’aurais préféré voir ici ses natures mortes de vêtements blancs (‘Tout passe, tout casse, tout lasse’). La plus grande partie de l’exposition est dévolue à ses Photographies Couleur (depuis 1992). Elles montrent des paysages de béton, toujours dans des compositions très formelles ou des paysages agricoles qui ne sont que désolation : poussière, sécheresse, incendie et le cadavre d’un veau mort dans une mare. A deux exceptions près (et encore sont-ils de dos) pas d’êtres humains ici, seulement des géométries, des constructions, des alignements, une abstraction sans vie, une terre sans peuple (en haut). Les objets représentés n’ont guère de sens, des rails enfouis sous la terre, une bande de bitume ne menant nulle part (ci-contre). Est-ce une image du réel, un signe de l’identité de l’endroit, une allégorie de l’”être israélien” comme le dit le catalogue ? C’est surtout un travail formel, dépouillé, trop sec pour séduire mais assez fin pour intéresser. Il va bien avec l’endroit où il est exposé, et le pays autour.