Alors que dans la torpeur d’un mois d’août certains s’amusent, s’excitent à faire bruisser une rentrée littéraire dont on nous révèle – à nous, lecteurs anonymes – , avec parcimonie quelques titres, quelques auteurs, nous promettant des « premiers romans » révélant un jeune écrivain prometteur, espérant ainsi titiller notre curiosité et nous mettre en appétit, je passe des vacances, avec pour seul choix de lecture, le hasard. Ce hasard est mené parfois par ce que l’on peut appeler des rhizomes, ces liens sous-terrains entre un livre et un autre, un auteur et un autre. D’autres fois, ce sont les amis qui vous tendent un livre, qui n’avait jusque-là jamais croisé votre chemin
et que la pause des vacances vous invite à saisir.
Les années n’est pas une autobiographie, ou du moins n’est pas que cela.
C’(est) un récit glissant, dans un imparfait continu, absolu, dévorant le présent au fur et à mesure jusqu’à la dernière image d’une vie.
L’auteure se raconte certes, mais si peu. C’est à travers les événements, les faits de sociétés, les produits, la consommation qu’elle parle de ce qui a été son environnement, l’environnement de sa vie. Je n’ai pas son âge, mais ses souvenirs deviennent les miens, je me les approprie.
…l’exiguïté des logements obligeait les parents, les frères et les sœurs, à dormir dans la même chambre, la toilette continuait à se faire dans une cuvette, les besoins dans des cabinets au-dehors…
Elle construit l’Histoire et son histoire avec des éléments rassemblés comme indices ou preuves : il y a des photos
…en noir et blanc, en gros plan, une jeune femme et un petit garçon assis l’un près de l’autre (…) Ni la coiffure ni l’ensemble ne sont conformes à l’image qu’on donnera plus tard des années soixante-six ou sept, seule la jupe courte correspond à la mode lancée par Mary Quant.
Les extraits de son journal intime viennent traduire au milieu des descriptions précises des souvenirs les sentiments profonds qui l’habitaient. À cette même époque, elle écrivait :
Je n’ai plus d’idées du tout. Je n’essaie plus d’expliquer ma vie. Je suis une petite-bourgeoise arrivée.
Une casette vidéo tournée ne 1985 dans une classe de seconde où elle enseignait. On lui pose la question :
Quand vous aviez notre âge, comment imaginiez-vous votre vie ? Qu’est-ce que vous espériez ?
Il faudrait réfléchir… pour revenir à seize ans, être sûre… Il faudrait au moins une heure.
… Il faudrait replonger, stagner longtemps dans les images d’elle en classe de seconde, retrouver des chansons et des cahiers, relire le journal intime.
En écrivant Les années, l’intention d’Annie Ernaux est de
Sauver quelque chose du temps où l’on ne sera plus jamais.
Elle l’a fait pour elle, pour nous ses lecteurs qui nous accrochons à tous ces petits indices qui nous parlent de nos années, et à nous glisser dans les questionnements d’une femme qui les a traversées.
À l’heure qu’il est, les libraires font de la place pour accueillir la masse de la rentrée littéraire 2009. On a déjà oublié (ou presque) de quoi était faite la précédente. La pause des vacances permet de vivre hors du temps, d’en oublier la cavalcade infernale, et divaguer au gré des désirs. C’est ainsi que les lectures viennent.
PS : J’avais fait quelques photos pour illustrer le blog, mais j’ai oublié le cordon de mon appareil. Dommage.
PS encore : Les grandes traversées sur France-Culture sont consacrées toute la semaine à Margueritte Duras. Podcast vivement conseillé.