Vues minuscules. Le livre est constitué de courts
paragraphes qui sont autant de rencontres au quotidien avec des gens de tous
les jours. Cela pourrait paraître banal ; tout tient à la qualité de
l’observation. Or Bretonnière sait piquer comme des papillons ces moments qui
sauvent ou gâchent la journée, ces détails dans le comportement ou le langage
qui révèlent une personnalité, voire une vie. On pense aux poèmes en prose de Godeau,
ou aux « instants » de Follain : il s’agit de saisir l’humanité
ordinaire (dont l’auteur ne s’exclut évidemment pas) dans ses menus bonheurs ou
ses détresses. Ce que ne supporte pas Bretonnière, c’est la bêtise, la
prétention, la vanité, mais il a une vraie tendresse pour les éclopés de
l’existence ou ceux qui savent rire, peuvent et veulent être heureux.
Cependant, malgré l’humour, la tonalité dominante reste celle d’une certaine
fadeur de vivre, comme si l’on passait le plus souvent à côté d’exister,
emportés par le rythme de la vie active, ou englués dans le temps mou de la
routine. « Sur le visage de la patronne de l’hôtel où je m’arrête un quart
d’heure pour prendre mon petit déjeuner, se devinent des trésors de tristesse.
Je ne m’emploie pas à imaginer ce qu’elle a vécu en quarante-cinq ans, je me
désole plutôt d’une existence qui, toujours, nous interdit de nous arrêter
vraiment aux autres. La tendresse fraternelle qu’engendrent immanquablement les
blessures et les désillusions, lisibles ici dans les rides d’un sourire las et
bon, ce matin de pluie sur la rocade, je n’y goûterai qu’en passant, comme un
petit voleur à la tire. Mais que pourrais-je lui offrir, et elle me
confier ? Rien, et rien. Nous ne sommes jamais que de passage, partout, pour
tous, absurdement pressés. » (p. 46)
Au fond ce que propose Bretonnière dans ce livre, à travers toutes ces
rencontres fugaces, au jour le jour, ce sont justement des temps d’arrêt,
d’attention. Sa poésie ici n’est aucunement moralisante, mais elle est
morale : il s’agit de reprendre conscience du fait que nous faisons partie
d’une communauté humaine, même si la communication entre les êtres n’est pas
chose facile, on ne le sait que trop. « Elle m’aime bien, la serveuse
timide – cela se sent, je le sais simplement -, et moi je l’aime bien aussi, ce
qui suffit, ce qui ne suffit pas. Nous nous sommes vus cent fois, à l’heure du
café-crème. Ni l’un ni l’autre ne connaissons nos noms, nous ne nous
connaîtrons jamais. » (p. 26)
Ce livre tourne le dos à la poésie poétique mais indique fermement que l’écriture
est autant écoute de l’autre qu’expression de soi. Et ce n’est pas rabougrir la
page que d’en faire un lieu commun, un moment d’humanité, pour dénoncer ou
compatir, selon les rencontres.
Bernard Bretonnière
Inoubliables et sans nom
éd. L’Amourier, 70 pages, 11 €
Contribution d’Antoine Emaz