La réponse ne va pas de soi. Pour l’essentiel le silence me va bien. J’aime la nuit qui m’entraîne, peuplée de murmures que je n’entends pas. Les mots nous trahissent toujours bien au delà de notre horizon quotidien. Il n’empêche… Il suffit d’ouvrir la bouche pour que surgissent, devant nos yeux, les rêves qui nous hantent et ceux dont il faudrait, de toute urgence, s’expatrier. Tout n’est que fiction sur nos lèvres, hallucinations du monde qui nous le rendent meilleur et si souvent désirable. C’est pourquoi le texte de Philip Roth (« Les faits ») me fascine. J’y devine une ultime illusion ; celle de penser qu’il existe un envers de l’imagination : un mode brut, et simple, et terriblement efficace, tout entier saturé de choses, d’évènements et de vérités. Car je ne parviens pas à adhérer à une telle hypothèse et je cherche en vain ce qu’il conviendrait, en toute rigueur, de qualifier de fiction. Pire encore : je prétends que nos hallucinations construisent le monde dans lequel nous vivons. Voilà, pour moi, qui impose de ne pas en rester là. Le Manifeste du Créalisme de Luis de Miranda me paraît une manière intéressante de dépasser ce constat. D’autres voies sont sans doute possibles. Mais, avant cela, Philip Roth, donc : « Autrefois, comme tu le sais, les faits n'ont rien été d'autre que des notes sur des carnets, ma manière à moi de me précipiter dans la fiction. Pour moi, comme pour la plupart des romanciers, tout événement de pure imagination trouve son origine là, dans les faits, dans le particulier et non dans le philosophique, l'idéologique ou l'abstrait. Reste qu'à ma surprise il semble que j'ai entrepris d'écrire un livre absolument rétrograde, en prenant pour matière ce que j'ai déjà imaginé et, pour ainsi dire, en le desséchant, de manière à rétablir mon expérience dans sa factualité originelle, antécédente à la fiction. Pourquoi donc? Pour démontrer qu'il existe un écart significatif entre l'écrivain autobiographique qu'on m'imagine être et l'écrivain autobiographique que je suis en réalité ? Pour démontrer que les informations que j'ai tirées de ma vie ont été, dans la fiction, tronquées ? S'il ne s'agissait que de ça, je ne crois pas que je m'en serais donné la peine, étant donné qu'un lecteur réfléchi, s'intéressant assez à mon œuvre pour s'en soucier, serait capable de se représenter aussi bien les choses par lui-même. Il n'y a pas eu non plus d'urgence particulière à ce livre : personne ne l'a commandé, personne n'est venu quérir une autobiographie de Roth. La commande, si elle a jamais été formulée, l'a été voilà trente ans, quand certains de mes aînés juifs ont voulu savoir qui diable était ce jeune homme qui écrivait de pareils trucs. »
La réponse ne va pas de soi. Pour l’essentiel le silence me va bien. J’aime la nuit qui m’entraîne, peuplée de murmures que je n’entends pas. Les mots nous trahissent toujours bien au delà de notre horizon quotidien. Il n’empêche… Il suffit d’ouvrir la bouche pour que surgissent, devant nos yeux, les rêves qui nous hantent et ceux dont il faudrait, de toute urgence, s’expatrier. Tout n’est que fiction sur nos lèvres, hallucinations du monde qui nous le rendent meilleur et si souvent désirable. C’est pourquoi le texte de Philip Roth (« Les faits ») me fascine. J’y devine une ultime illusion ; celle de penser qu’il existe un envers de l’imagination : un mode brut, et simple, et terriblement efficace, tout entier saturé de choses, d’évènements et de vérités. Car je ne parviens pas à adhérer à une telle hypothèse et je cherche en vain ce qu’il conviendrait, en toute rigueur, de qualifier de fiction. Pire encore : je prétends que nos hallucinations construisent le monde dans lequel nous vivons. Voilà, pour moi, qui impose de ne pas en rester là. Le Manifeste du Créalisme de Luis de Miranda me paraît une manière intéressante de dépasser ce constat. D’autres voies sont sans doute possibles. Mais, avant cela, Philip Roth, donc : « Autrefois, comme tu le sais, les faits n'ont rien été d'autre que des notes sur des carnets, ma manière à moi de me précipiter dans la fiction. Pour moi, comme pour la plupart des romanciers, tout événement de pure imagination trouve son origine là, dans les faits, dans le particulier et non dans le philosophique, l'idéologique ou l'abstrait. Reste qu'à ma surprise il semble que j'ai entrepris d'écrire un livre absolument rétrograde, en prenant pour matière ce que j'ai déjà imaginé et, pour ainsi dire, en le desséchant, de manière à rétablir mon expérience dans sa factualité originelle, antécédente à la fiction. Pourquoi donc? Pour démontrer qu'il existe un écart significatif entre l'écrivain autobiographique qu'on m'imagine être et l'écrivain autobiographique que je suis en réalité ? Pour démontrer que les informations que j'ai tirées de ma vie ont été, dans la fiction, tronquées ? S'il ne s'agissait que de ça, je ne crois pas que je m'en serais donné la peine, étant donné qu'un lecteur réfléchi, s'intéressant assez à mon œuvre pour s'en soucier, serait capable de se représenter aussi bien les choses par lui-même. Il n'y a pas eu non plus d'urgence particulière à ce livre : personne ne l'a commandé, personne n'est venu quérir une autobiographie de Roth. La commande, si elle a jamais été formulée, l'a été voilà trente ans, quand certains de mes aînés juifs ont voulu savoir qui diable était ce jeune homme qui écrivait de pareils trucs. »