"Mille ans de la vie d'un oiseau", à propos de Ernst Moerman (un article de Jacques Fournier)

Par Florence Trocmé

 

 

Mille ans de la vie d’un oiseau


Connaissez-vous Ernst Moerman (1897-1944) ? Non ? Normal (ou presque). Il fait partie de ces oubliés qui encombrent les étagères poussiéreuses des caves de l’histoire littéraire.
Il aura fallu attendre la passion de la merveilleuse, atypique et belge comédienne (et poète) Laurence Vielle pour que l’on puisse enfin découvrir cet homme dont l’œuvre de gloire fut le surréaliste et muet court métrage M. Fantômas, réalisé en 1937 avec trois sous six francs. Outre ce haut fait artistique, vite reconnu et resté comme tel dans la sphère surréaliste, Ernst Moerman a écrit trois recueils de poèmes, introuvables à ce jour (la dernière édition, due à ses deux amis Robert Goffin et Carlos de Radzitzky, date de 1970) et deux pièces de théâtre, dont seul Tristan et Iseult est disponible aux Cahiers du théâtre du Rideau, Bruxelles.
Mais revenons à ces Mille ans de la vie d’un oiseau.
Laurence Vielle est tombée en amour de l’œuvre de Moerman vers l’âge de 20 ans, à l’occasion d’un spectacle joué à Bruxelles. Elle est habitée depuis par ces bouts de poèmes et aphorismes à l’étrange puissance évocatrice (Puisque le bonheur n’existe pas / tâchons d’être heureux sans lui ou Je donnerais cent francs de plus par mois pour ma chambre / si un ruisseau la traversait), fascinée par l’homme, aux rares images et à la courte vie bien difficile à suivre (marin à 16 ans, passionné de jazz, avocat, chroniqueur des nuits bruxelloises, tuberculeux, opiomane, adulateur de Cocteau qui le lui rendait bien,…).
Vingt ans plus tard, Monique Dorsel, l’historique directrice du Théâtre Poème de Bruxelles, lui laisse carte blanche pour le festival de Seneffe. Il n’en fallait pas plus pour que le rêve se réalisât.
Et Laurence donna vie à Ernst.
La comédienne se fait dans un premier temps conférencière, permettant au public de mieux connaître la vie de l’homme avant d’entendre son œuvre.
Puis, assise à une table ludiquement éclairée d’une guirlande acidulée, ou debout sur la chaise, pour dire à la face du monde la douleur et le bonheur d’aimer, ou simplement debout sur le plancher, mais le corps en perpétuel mouvement, la main s’élevant vers le ciel pour revenir aussitôt sur la poitrine et repartir tout aussi vite vers un autre point invisible mais palpable de l’espace, l’autre bras balançant des paillettes imaginaires pour appuyer, sans le forcer, le propos, le pied se tordant de droite et de gauche, cherchant appui ou appel, le regard débordant d’étonnement, gavé d’une naturelle naïveté désarmée et désarmante face à la puissance des mots, ou fixant, grave, un horizon d’elle et du poète seuls connu, la comédienne rejoint le poète et en lui se confond, comme lui oiseau perdu sur terre, comme lui prêt à l’envol mais ayant avant cela tant à dire dans l’urgence, comme lui funambule tragique aux propos drôles et graves, selon l’humeur et parfois dans un même souffle, comme lui les pas mal assurés mais plein de certitudes. Dans les mains expertes de Baudouin de Jaer, le violon, animé par toutes ses composantes, ponctue agréablement de diverses plages leurs tentatives d’échappées.
Il ne reste plus qu’à le faire s’envoler, le poète, avec sa myriade d’oiseaux pour les mille ans à venir.
Un souhait en guise de prière : Mesdames et Messieurs les éditeurs belges de langue française, unissez-vous et rééditez enfin cette œuvre unique, poésie et théâtre mêlés afin de ne rien perdre de son entièreté. Faites-le connaître, ce poète trop inconnu, reconnaître enfin, et donnez-lui la place qu’il mérite, par ce geste d’autant plus visible que vous serez unis pour le porter.
Mille ans de la vie d’un oiseau
textes de Ernst Moerman
par

la Cie Stoc

 !
avec Laurence Vielle et Beaudoin de Jaer (musique).
Petit florilège d’Ersnt Moerman :
ton chat qui porte sa souris d'un air pensif
sera condamné à mort
*
il vaut mieux être le dernier
a se servir de champignons
*
un pauvre qui saigne dépense son capital
*
dans les foires on montre aux hommes des animaux savants, alors que 'est les animaux que l'on devrait mener à ce spectacle
Contribution de Jacques Fournier