Je suis arrivé là après avoir fait du droit. Et du mime. Oui, c’est la magie de la fac. Je ne savais pas ce que je voulais faire mais je rigolais bien. J’ai probablement perdu quelques neurones et un chouilla de fonction hépatique dans l’affaire, mais ça valait sacrément le coup.
Et puis je suis arrivé dans un Institut de formation, en plein cœur d’un hôpital très gai dédié à la rééducation. Passage d’un amphi de 800 personnes à une promo de 80. Avec les premiers jours notre prénom inscrit sur une feuille A4 pliée en deux. “Je m’appelle Thomas, je veux devenir infirmier parce que… parce qu’euhhhhhhhh… Je m’appelle Thomas.”
Je me souviens encore du premier cours. J’ai appris que l’homme était un être “Bio-Psycho-Socio-Culturel”. Bon.
Deuxième cours, les “besoins fondamentaux” de Virginia Henderson. Mouais. La dévotion totale pour ce concept m’a toujours un peu gonflé. Alors que Florence Nightingale, ça c’était de l’infirmière. En plus elle a son nom sur toute une flotte d’avions de l’US Army. Je sais, ce n’est pas l’argument du siècle, mais quand même.
Puis est arrivé le premier stage, la première tunique col mao, le premier paquet de clope dans la tunique. Et le premier stylo quatre-couleurs, Adam, digne ancêtre d’une lignée d’environ 4236 quatre-couleurs.
Le premier stage a été le plus miteux. Long séjour dans un hôpital merdique. “Long séjour.” Encore un terme à mettre dans la liste dégoulinante et sirupeuse du politiquement correct médical avec “non-voyant” et “sénior”. Paraîtrait qu’il a été rénové depuis, mais même pour deux fois le salaire habituel je n’y remettrai pas les pieds. Pour trois fois, oui, quand même. Un hôpital pourri, donc, avec des gens méchants dedans. Avec comme prénom, au choix, “le stagiaire”, “le stagiaiwe” ou Joe, l’équipe ayant décrété que je ressemblais vaguement à Joe Dassin. Connasses.
Donc 10 toilettes-complètes-au-lit (toilettes de séniors, souvent non-voyant et non-comprenant). Pas d’encadrement, pas de pauses, ou alors en cachette. Un référent, quand même: Roger, petit coq de basse-cour, sorte de sous-Francky Vincent, avec la moustache et les bagouzes. Je l’ai détesté à la première seconde. Il me l’a rendu au centuple. D’abord parce que je sais pas faire les lits au carré.
Bon, que j’explique aux âmes pures lectrices de ce billet, qui ont un métier normal: Le lit au carré, c’est la base. Faire un lit à deux, c’est une espèce de chorégraphie muette névrotique. Deux soignants face à face, en synchronisation totale. Normalement c’est le moment où l’on demande à l’autre qui couche avec qui dans le service. Mais là, non, personne ne parlait à Joe le stagiaire. Et moi, je n’étais jamais synchro. J’avais retenu à peu près le principe, mais pour une raison étrange, je n’étais capable de faire les coins au carré qu’en me mettant du côté droit du lit. Ce qui m’imposait une stratégie de positionnement très évoluée, qui consistait essentiellement à me précipiter du bon côté dès l’ouverture de la porte.
Les poubelles étaient des corbeilles à papier de bureau, qui débordaient de merde. Pas grave, “les microbes ne volent pas”, me disait Roger-Francky, avec une ton me donnant envie de l’étrangler doucement avec sa chaine en or Dolce Gabbana tout en lui pétant méthodiquement les dents avec ses bagues. Après quoi, il partait déguiser ceux qui pouvaient encore marcher avant le déjeuner, couettes pour les vieilles, casquette à l’envers pour les vieux. Ha-Ha-Ha. Pendant ce temps, je donnais à manger une mixture prévomie relevée au Rivotril à des déments en position fœtale, les rares fruits ou gâteaux étant piqués par le personnel, “pour éviter les fausses routes”.
Finalement, je ne lui ai rien fait bouffer, à Roger, il m’a juste dit que je n’étais pas du tout fait pour être infirmier et que je ferais mieux d’arrêter tout de suite. J’ai failli l’écouter. Mais arrêter des études à cause de Franky Vincent, c’est dur pour l’égo. J’ai continué.
Le deuxième stage consistait essentiellement à rouler des pétards pour des tétraplégiques. Ca c’est