Dans une interview au Parisien, Bruno Le Maire, ministre de l'Agriculture, a affirmé lundi que les producteurs français de fruits et légumes devraient rembourser 500 millions d'euros de subventions contestées par l'Union Européenne entre 1992 et 2002: "Il est certain que nous devons engager une procédure de remboursements auprès des producteurs". Est-ce une gaffe ou un acte de franchise ?
Acte I : la fausse gaffe
Ancien directeur de cabinet de Dominique de Villepin entre 2005 et 2007, Bruno Le Maire a été élu député de l'Eure en juin 2007 avant de rejoindre le gouvernement Fillon comme secrétaire d'Etat aux affaires européennes à la fin de l'année dernière. En juin dernier, il remplace Michel Barnier à l'Agriculture. Partout et par tous, Le Maire est présenté comme un jeune ministre talentueux, qui a largement oeuvré, aux Affaires Européennes, à la réconciliation d'Angela Merkel et Nicolas Sarkozy. Le voici à l'Agriculture, où son talent diplomatique sera nécessaire, tant les sujtes de grogne sont nombreux : conflit avec la grande distribution, baisse de la consommatio (fruits et légumes), crise de la pêche, renégociation prochaine des aides européennes, etc. Parmi ces sujets, une plainte de Bruxelles depuis 7 ans. A l'époque, l'UE contestait le versement de 338 millions d'euros, qui frisent désormais les 500 milliards compte tenu des intérêts de retard. Une décision du 28 janvier 2009, parue au Journal officiel européen le 18 mai, a exigé le remboursement de ces aides. Michel Barnier (le 8 avril) et la Fédération des comités économiques (le 18 juin) ont déposé des recours en annulation devant la Cour de justice européenne.
Lundi, Bruno Le Maire a mis les pieds dans le plat. Il annonce que son ministère "enverra une lettre à chaque organisation de producteurs pour savoir qui a bénéficié de ces subventions et quelles sommes ont été perçues". "Je ne veux pas exposer la France à une condamnation qui l'obligerait à rembourser une somme encore plus conséquente dans cinq ou dix ans". Mardi, il complète: "ces aides sont en partie illégales". Il "préférait éviter une guerre perdue contre la Commission européenne et agir avec responsabilité, sans prendre Bruxelles comme bouc émissaire, pour s'attaquer aux problèmes structurels de la filière"
C'est une gaffe : les agriculteurs n'ont pas fauté. S'ils ont reçu des aides qu'ils n'auraient pas dû recevoir, les fautifs sont ailleurs. En l'espace de quelques phrases, le ministre s'est désolidarisé, décrédibilisé auprès des agriculteurs. Pourquoi prendre ainsi position en faveur de Bruxelle ?
Les représentants du monde agricole sont catégoriques: «Nous ne paierons pas», a tranché Jean-Bernard Bayard, secrétaire général adjoint de la FNSEA. «ce n’est pas aux agriculteurs de payer les erreurs de l’Etat français» a ajouté le secrétaire national de la Confédération paysanne André Bouchut.
Acte II: rétropédalage et fermeté
La bombe lancé, le ministre modère ses propos: tout ne sera pas remboursé, et pas immédiatement: «Mon but final, c’est de réduire la facture le plus possible et de gagner du temps». Le Maire rassure : «Je conteste formellement cette somme, et c'est pour cette raison que j'ai demandé et obtenu auprès de la Commissaire européenne, Mariann Fischer Boel, un délai supplémentaire pour expertiser au cas par cas le montant des remboursements exigés aux producteurs». Mardi, une réunion de "crise" s'est tenu à son ministère. Les agriculteurs sortent presque rassurés, eux qui croyaient devoir commencer à rembourser dans quelques semaines...«Nous sommes partiellement rassurés car le couperet ne va pas tomber demain, indique un de leurs représentants.
Le Maire annonce aussi que les agriculteurs bénéficieront d'un plan de soutien pour éviter de couler.
Acte III: on reste ferme.
«Je vais être très précis: j'ai fait tout cela en plein accord avec Matignon et l'Elysée [...] Pour être encore plus précis, j'ai eu le président de la République à deux reprises hier, j'ai eu François Fillon longuement hier soir, ils m'ont assuré, je me permets de reprendre leurs propres mots puisqu'ils m'y ont autorisé, de leur soutien total». Cette courte déclaration du ministre fait tilt. l Maire a suivi une tactique usuelle en Sarkofrance: annoncer soit-même la pire des mauvaises nouvelles du moment, si possible en profitant d'un moment de repos médiatique pour cause de vacances, et sidérer les acteurs concernés. Xavier Darcos aimait suivre cette technique. Il devançait toujours de quelques heures ou quelques jours son propre ministre du budget pour annoncer les réductions de postes d'enseignants. Dans le cas présent, Le Maire veut secouer la filière, en vue de la prochaine négociation des aides européennes, et engager une réforme structurelle. En particulier, le coût horaire du travail pour la cueillette trop élevé: entre 11 et 13 € de l'heure, alors qu'il est de 6 en Allemagne et de 7 en Espagne.
«Cette décision était une décision réfléchie, une décision de responsabilité, ce n'est pas une décision prise à la va-vite» explique Le Maire mardi soir.