A une époque lointaine je fumais et puis un jour j'ai arrêté. J'ai arrêté de fumer des cigarettes, car pour ce qui est de « fumer » et rouspéter je n'ai pas cessé. Ca m'a pris d'un seul coup quand j'ai réalisé que ça ne me servait à rien en réalité car je n'y prenais pas un plaisir véritable. Le goût de la fumée inhalée n'avait rien de mémorable et même aujourd'hui avec le recul je peux dire que c'est assez dégueulasse ; l'odeur de la fumée imprégnant les vêtements m'est devenue insupportable et l'haleine de pécari n'a rien d'agréable.
Mais j'étais adolescent et à cet âge on fait comme les copains, on cherche à se donner un genre, on trouve que c'est cool. Fumer ne m'intéressait pas, c'était plutôt le rituel qui classait son homme. D'abord, extraire le clope de son paquet avec maestria, un coup sec et court du poignet pour que la tige - et une seule impérativement - émerge. L'allumage ensuite, selon les époques le briquet ou les allumettes remportaient les suffrages parmi mon entourage. J'étais assez partisan des allumettes, car là aussi une technique certaine permettait de faire de l'effet. La description du geste serait complexe, disons pour simplifier que je frottais l'allumette sur le grattoir par un mouvement « entrant » vers moi et non pas « partant » vers l'avant, et que je tenais l'allumette entre le pouce et l'annulaire, ce que je trouvais follement classieux ! On n'est souvent nunuche quand on a dix-sept ans. La cigarette allumée était tenue non pas entre l'index et le majeur, mais entre le majeur et l'annulaire pour faire « chic » ou bien bout incandescent à l'intérieur de la paume de la main pour faire vieux baroudeur qui a l'habitude de cloper en plein vent, en somme pour faire plus viril. Bien entendu quand la tige (à mon époque certains employaient encore ce terme) était fumée, on la balançait d'une pichenette désinvolte avec le pouce et le médium, le plus loin possible et tant qu'à faire en visant une cible précise. Fumée exhalée par le nez, ronds de fumée avec la bouche complétaient la panoplie des accessoires du mec cool.
Et puis un jour j'en ai eu assez, ces petits jeux m'ont semblé puérils, mon caractère indépendant m'a poussé à faire le contraire des autres et j'ai stoppé les frais. Je dis les frais car avec le temps, le prix du paquet n'a fait que grimper et ne plus fumer m'a fait faire des économies, ce qui n'était pas négligeable. Aujourd'hui la moindre odeur de fumée de tabac m'horripile et m'agresse le système olfactif et ce qui me fait « fumer » c'est de constater que sur les paquets il est écrit en gros et gras « Fumer tue » mais que néanmoins ils sont vendus librement dans tous les bureaux de tabac. De qui se moque-t-on ?