Scène 3
Les mêmes, La Madone des Déshérités, Lanlan, La Langoureuse Arielle, l'huissier
L'HUISSIER (Essayant de retenir la Madone par la manche de sa veste blanche)
Madame s'il vous plait, en cet intime lieu
Il vous est défendu...
LA MADONE (Se libérant)
Qu'il est saoulant, ce vieux !
Je te dis, triple buse, et je pèse mes mots,
Que voir Scarlatina est vital, il le faut.
SCARLATINA (Se levant)
Seigneur, me fallait-il hélas encor subir
Ce Satan en jupon qu'on devrait estourbir ?
(A l'huissier)
Laissez-là donc passer puisqu'elle est arrivée
A franchir des portes pourtant si bien gardées.
(Fifi et Rosie se lèvent aussi)
LA MADONE (Se dirigeant vers Scarlatina, les bras tendus.)
Aussitôt que j'ai su cette horrible nouvelle,
J'ai couru au palais : dis-moi, et sans querelle,
Comment va donc celui qui m'a piqué la place
Que j'aurais dû avoir. Est-il vrai qu'il trépasse ?
SCARLATINA
De tous tes vains espoirs, il te faut te défaire.
LA MADONE
On le disait pourtant...
SCARLATINA (Ironique)
Prêt à lâcher l'affaire ?
LANLAN (Mielleux)
La Madone a parlé sans vraiment réfléchir
Et les plus justes mots n'a pas su bien choisir.
Nous voulions simplement être fort rassurés
Sur l'état de santé de Notre Majesté.
LA MADONE (Irritée)
Je sais ce que je dis, je dis ce que je pense.
J'espérais fortement avoir la récompense
De ma ténacité et de tous mes efforts
En le voyant enfin étendu et bien mort.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (Enveloppée dans des fourrures et un masque sur la bouche et le nez.)
Mais la grippe porcine est dit-on fort mauvaise.
Et peut-être l'a-t-il...
FIFI (A la Madone)
Tu en serais fort aise,
Madone décatie. Tu n'auras pas la joie
D'assister au décès de notre très cher Roi.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Mais qu'a-t-il ramassé ? On ne le sait donc pas ?
On attend simplement l'heure de son trépas ?
SCARLATINA
Sur ce mal on ne peut vraiment poser un nom.
Sa chute n'avait pas diminué son aplomb ;
Tout est venu d'un coup. A peine ici rentré,
Il s'est senti très mal et a dû s'aliter.
LA LANGOUREUSE ARIELLE (A La Madone, sortant un autre masque et se le plaquant sur le premier)
Ca sent l'épidémie, je vous le dis, Madame.
Je n'aurais jamais dû fouler ce lieu infâme.
Pourquoi donc m'obliger à vous accompagner
Quand on sait bien qu'ici, on y perd la santé ?
LA MADONE
Es-tu de mes amis ou me fais-tu faux-bond ?
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Voter pour vous, d'accord, mais mourir pour vous, non !
LA MADONE
Voilà bien l'infidèle ! O triste ingratitude !
Prête à m'abandonner dans mon inquiétude* !
Toi que j'ai su sauver de ce si grand danger
Qui s'abattit sur nous dans l'étendue glacée ! (1)
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Me sauver ? Qu'ai-je ouï ? Vous délirez, ma chère.
Et dans le mégalo, vous faites surenchère.
Le salut ne vint pas de vos brillants exploits.
Souvenez-vous donc bien : vous fûtes une croix.
FIFI (Tout bas)
Et ça n'a pas changé. (Haut, à la Langoureuse Arielle)) Ah, blonde et gente dame,
Vous venez en un mot de conquérir mon âme.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Il est hélas trop tard, de vous je suis guérie.
Je ne vous aime plus, je n'en ai plus envie. (2)
SCARLATINA
Et puis, en vérité, est-ce bien le moment
De laisser s'exprimer d'aussi vils sentiments ?
Revenons au sujet qui nous inquiète tant
A savoir la santé de mon cher Président.
LANLAN
Mais que dire de plus ? C'est le noir intégral.
LA MADONE (A Rosie)
Et toi, Terreur sans nom, sur le plan médical,
As-tu au moins songé à la vaccination ?
Sauras-tu empêcher cette propagation
S'il s'avère bien sûr que cet individu
Porte en lui ce virus sur nos fronts suspendu ?
ROSIE
Mais tout a été fait, dans les règles, c'est sûr.
Enfin, je le crois bien. Car ce virus impur
Va peut-être muter.
LA MADONE
Ce qui veut dire en clair...
ROSIE
Que ça mettra mon plan totalement en l'air.
Mais soyons positifs. Mes réfrigérateurs
Regorgent de vaccins et d'antidépresseurs
Que je trouverais bien le moyen de fourguer
Lorsque la pandémie sur nous sera tombée.
(On entend un nouveau gémissement venant de derrière la porte à droite ; puis une toux grasseyante.)
SCARLATINA (lugubre)
Il gémit.
FIFI (idem)
Il tousse.
LA MADONE (ton plein d'espoir)
Il est à l'agonie.
LA LANGOUREUSE ARIELLE
Le mal est bien certain. Tirons-nous de ce lieu
Cela devient malsain, abandonnons le vieux.
(Elle recule lentement. Au moment où elle va sortir sur la gauche, rentre l'huissier, courbé en deux, suivi de Cunégonde et de Leïla, toutes deux très dignes.)
* Diérèse, SVP.
(1) Voir Cunégonde en Antarctique
(2) Voir les différentes aventures de Cunégonde dans lesquelles la Langoureuse Arielle essaie plus ou moins en vain de conquérir Fifi.