En cinquante-six pages, Pierre Michon nous raconte comment la vie d'un paysan, Gian Domenico Desiderii, bascule le jour où, parti promener ses porcs dans la forêt, il voit un carrosse d'où sort une jeune femme possédant « autant de dentelles à son col qu'à ses fesses » et qui se met... à uriner. Bouleversé par cette vision, le jeune homme n'aura qu'un « désir » : revivre ce moment :
« Je voulais être celui pour qui ce miracle a lieu chaque jour, à toute heure du jour. »
Plus loin :
« Je voulais revoir cela, mais pas caché sous des arbres. Non, de l’autre côté. (…) Tout comme le jour regarde la terre, sur elle pleut ou la dessèche, à sa guise. (…) Je voulais être celui que la sacro-sainte en grande pompe profanée regarde, attend. »
Pour cela, pense Gian Domenico Desiderii, il faut être prince. Malheureusement, ce rêve ne deviendra pas réalité puisque le jeune homme sera « connétable, factotum de Monseigneur de Nevers » mais aussi et surtout assistant, pendant vingt ans, du peintre Claude Gelée dit le Lorrain, « le vieu fou », avant de retourner dans son seul véritable royaume, la forêt et lâcher un :
« Maudissez le monde, il vous le rend bien. »
Ce livre appelle à mon sens plusieurs types de commentaires. Bien sûr, comme le souligne un article paru dans le numéro 12 de la revue Siècle : Le Roi du bois est l'histoire d'une femme « qui profane son élégance ». « La beauté ne s’incarne que dans cette part animale que le désir lui restitue. »
Le désir du jeune paysan n'est pas, à mon avis, de devenir prince pour des raisons matérielles. Il s'agit plutôt, pour lui, d'accéder surtout à un simple plaisir, ultime certes mais plaisir quand même. En ce sens, le personnage a de l'ambition sans être forcément ambitieux. Mais ce désir n'a de chance d'aboutir, me semble-t-il, que si Gian Domenico Desiderii travaille à détruire les mythes qui sont ancrés en lui, en particulier celui qui le conduit à penser qu'une jeune fille noble n'urinerait pas de la même façon que les autres femmes. Sinon, pourquoi s'en émouvrait-il ?
Je me demande si tout cela n'est pas une métaphore du travail de Pierre Michon qui, méthodiquement, va le conduire exactement là où il aimerait aller : dans ce monde des hommes de lettres. Non pas à la recherche d'une quelconque gloriole forcément superficielle mais pour vivre et exercer la passion de toute une vie : celle de la littérature. Et d'y laisser lui aussi une trace indélébile.