Abu Leila est un homme strict et un peu sévère, pour qui les règles et les lois sont à respecter à la lettre. Et pour cause ! En exil, il a longtemps exercé la profession de juge avant de revenir en Palestine mettre son expérience au service de la reconstruction civile du pays. Et là, il a vite déchanté. Les chaotiques autorités palestiniennes tardent à créer le poste de juge qui lui a été promis. Il a beau harceler régulièrement le ministre chargé de la justice pour qu’il accélère sa titularisation, rien n’y fait.
En attendant, il exerce provisoirement la fonction de chauffeur de taxi, grâce au véhicule que son beau-frère lui a prêté. La situation est plutôt cocasse, et provoque les ricanements de ses interlocuteurs, qui le prennent pour un mythomane ou un doux rêveur. Abu s’en trouve profondément humilié, heurté dans son amour-propre, mais il ne dit rien. Le taxi est sa seule source de revenus. Des montants peu élevés puisqu’il refuse de desservir les check-points et de transporter des hommes armés, mais juste de quoi assurer une vie décente à sa femme et à sa petite fille.
Cette dernière est sur le point de fêter son septième anniversaire, celui qui donne son titre au nouveau film de Rashid Masharawi, L’anniversaire de Leïla …
Abu promet à sa femme de rentrer tôt, et, histoire de fêter dignement l’événement, de revenir avec un cadeau et un gâteau d’anniversaire.
Mais, avant de parvenir à ses fins, le pauvre juge et taxi va devoir traverser bien des péripéties, au cours d’une journée qui va s’avérer cauchemardesque. A moins qu’il ne s’agisse que d’une journée « ordinaire » de la vie d’un habitant de Ramallah…
Car cette trame scénaristique amusante et enlevée, qui aurait très bien pu basculer dans la comédie burlesque façon Blake Edwards, permet surtout au réalisateur de dresser un état des lieux de la société palestinienne, et de parler de la difficulté de mener une vie normale dans un pays miné par un demi-siècle d’occupation et des luttes de pouvoir intestines. Chaque course du personnage principal, chaque confrontation avec des clients souvent hauts en couleurs, illustre un des problèmes rencontrés par les habitants de Ramallah. En premier lieu, il y a évidemment cet incessant conflit israélo-palestinien. Entre les combattants du Hamas se promenant arme à la main parmi la population et les hélicoptères de l’armée israélienne qui survolent la ville, les manifestations pacifiques et les tirs de roquettes isolés, la tension est palpable et pèse sur le moral des riverains déjà à bout de nerfs.
Il y a aussi l’organisation du pays elle-même, perturbée par le conflit interne que se livrent partisans du Hamas, grand vainqueur des dernières élections, et ceux du Fatah, le parti du président de l’autorité palestinienne Mahmoud Abbas, et par les divisions entre ceux qui préconisent une solution pacifiste pour le Moyen-Orient et les tenants d’une lutte armée plus dure… Ceci se traduit par d’incessants ballets de personnes aux postes-clés du développement de la nation, ce qui perturbe le bon fonctionnement de services publics de toute façon bien peu efficaces, l’ensemble des territoires occupés souffrant d’un manque d’infrastructures et de personnel qualifié. Enfin, le pays étant privé de tribunaux et de prisons dignes de ce nom, la loi n’est plus appliquée, au grand dam d’Abu Leila. Mais dans des conditions de vie aussi rudes, à quoi bon respecter les consignes de sécurité ? A quoi bon respecter des lois dérisoires en regard de la mort qui rôde à chaque coin de rue ?
Le constat fait par Rashid Masharawi peut sembler cynique et désabusé, mais il n’est pas dénué d’espoir. Dans le chaos de ces territoires occupés, la vie triomphe quand même. Des jeunes gens s’aiment, des enfants grandissent entourés de l’affection de leurs familles, et tous rêvent d’un avenir meilleur…
Porté par des comédiens tous épatants, dont le rôle principal, joué par Mohammed Bakri, tout en retenue et en dignité, L’anniversaire de Leïla est un petit film au concept simple et efficace. Tout juste peut-on reprocher au cinéaste d’avoir livré une œuvre trop « construite » et un peu trop prévisible.
En tout cas, après Amerrika ou Le sel de la mer, et avant le génialissime Le temps qu’il reste, le film de Rashid Masharawi confirme l’excellente santé d’un cinéma palestinien qui se développe dans des conditions très difficiles. Et dont la qualité est similaire à celle du cinéma israélien, lui aussi très inspiré. Et si le travail des artistes de cette région troublée, tous fervents partisans de la réconciliation des deux peuples, réussissait enfin à promouvoir la paix ? Il n’est pas interdit de rêver…
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