Scène 2
Fifi, Rosie, Scarlatina
FIFI
Belle Scarlatina, quelles sont les nouvelles ?
ROSIE
A-t-on au moins encor un peu de sa cervelle ?
SCARLATINA
On soupira bien fort quand je voulus chanter,
On eut un spasme énorme en m'entendant gratter,
Puis un gémissement s'échappa de ces lèvres
Et tout alors sombra dans une grande fièvre.
ROSIE (Impressionnée)
Combien a-t-on ?
SCARLATINA
Trente-sept deux.
FIFI (Rassuré)
C'est peu.
SCARLATINA
Pour lui,
Un trente-sept deux vaut quarante pour autrui.
Je me sens angoissée, le trouble m'envahit ;
De quel funeste émoi mon œil est obscurci ?
Je répugne à chanter, moi si primesautière
Et prête à gratouiller pendant des nuits entières.
FIFI
Que dit le médecin ?
SCARLATINA
Il ne dit rien.
FIFI
C'est clair.
La faculté se tait ; un orage est dans l'air.
Mais ce malaise inouï, comment arriva-t-il ?
SCARLATINA
Seyez-vous, je vous prie, ce sera plus civil.
Je n'étais point au lieu de l'atroce attentat,
Un récit m'en fut fait, le voici, et recta.
Tel un cerf gracieux*, sautant et bondissant,
Il allait son chemin en courant, tout pimpant ;
Près de lui s'agitaient sa garde et ses manants,
Quasiment asphyxiés par cet effort constant
Qui consiste à courser ce terrible zéphire
Prêt à tout essayer et notamment le pire.
Ainsi galopaient-ils, légers et court vêtus,
Quand soudain, sans un mot, il ne fut plus en vue.
La troupe s'arrêta, l'appela, le héla :
Mais le silence seul répondit « me voilà ».
Alors qu'on évoquait déjà l'enlèvement,
On eut la bonne idée, après un bon moment,
De baisser le regard vers un tas qui gisait
Au bord de ce chemin et qui tout bas geignait.
On s'élança vers lui et là on reconnut
Celui qui de ses mots fait frissonner les nues.
Il était évanoui et son œil révulsé
Fit penser qu'aux Enfers il venait de tomber.
On s'empresse pourtant, on flanque quelques gifles,
On se penche sur lui, à l'oreille on le siffle.
Il répondit enfin, et d'une voix geignarde :
« Je ne puis respirer, la douleur me poignarde,
Je ne vois que fumée, tout n'est qu'obscurité ;
Emmenez-moi, amis, sauvez ma dignité.
De ce beau short couvrez l'impudique vision
Qu'aura le monde entier de mes poilus jambons. »
A peine a-t-on le temps de combler ses désirs
Que déjà les avions surgissent à loisir
Et larguent sur ce lieu devenu historique
Des docteurs à la pelle et des flics hystériques.
Les portables grésillent et font un bruit d'enfer,
On ameute la presse, on étend la civière,
On le colle dessus, on l'emmène bien vite,
Les chaînes de télé promptement l'on invite
Et au peuple atterré on déclare bien fort
Qu'il n'est pas en danger, qu'il n'est même pas mort.
Pendant ce temps, là-bas, dans ce grand hôpital,
On remue ciel et terre et l'on joue carnaval ;
C'est à celui vraiment qui dira le premier
Ce qui ce roi glorieux a voulu terrasser.
Deux jours après, enfin, on le laisse partir,
Il revient au Palais et c'est pour y gésir.
Car à peine rentré, il s'est ici couché
Et du lit ne veut plus du tout se relever.
FIFI (Les larmes aux yeux)
Ce récit dramatique aux accents héroïques
Fait vibrer en mon sein la fibre pathétique.
Je ne puis concevoir que cette auguste tête
Que supporte ce corps digne d'un grand athlète,
Ait pu courber le front sous une telle attaque
Sans combattre un instant ce mal si démoniaque.
SCARLATINA
L'assaut fut si soudain, et fut si impromptu,
Qu'il ne sut résister et se trouva perdu.
ROSIE
Mais son état présent, est-il donc alarmant ?
SCARLATINA
Sans doute il peut bien l'être ; un évanouissement
De cette grippe, hélas, ne protège vraiment.
Mais j'entends quelques voix. Qui ose donc venir
Interrompre ma peine et troubler mes soupirs ?
(Apparaissent sur la gauche, La Madone des Déshérités, Lanlan et La Langoureuse Arielle, suivis par un huissier pas content du tout.)
* Diérèse SVP !
(A suivre)