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L’archéologie comme arme ? Pseudo-polymastie, déesses reproductibles et danseuses lascives

Publié le 03 août 2009 par Marc Lenot

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Mes compétences en archéologie se limitant aux cours de l’École du Louvre, ce récit de ma visite du Musée Rockefeller à Jérusalem vous éclairera sans doute peu, au delà des quelques objets montrés ci-dessous. Mais, contrastant le Musée d’Israël et ce Musée (qui pourtant en dépend depuis 1967, mais a hérité de ses fondateurs anglais et américains des années 1920 une objectivité scientifique sourcilleuse), l’évidence que l’archéologie est bien souvent une arme au service de la politique quand il s’agit d’affirmer une histoire, un héritage, une race, un titre de propriété sur une terre. Ce fut le cas sous Napoléon III avec ‘Nos ancêtres les Gaulois’, sous Mussolini avec la gloire romaine, sous les nazis avec l’obsession aryenne, et c’est, de la même manière, le cas ici où tout sert d’argument pour affirmer une possession historique du sol. Pour démonter cette idéologie coloniale, il faut lire les remarquables livres d’Israël Finkelstein et de Neil Asher Silbermann (La Bible dévoilée et Les rois sacrés de la Bible), auteurs qu’on soupçonnera difficilement d’antisémitisme. Un archéologue rencontré il y a peu près de Tibériade me décrivait cette archéologie selon laquelle les fouilles s’arrêtent quand on en a trouvé un embryon de preuve de ce qu’on voulait prouver.

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Rien de cela, donc, au Musée Rockefeller, magnifiquement situé face aux murailles de la Vieille Ville. Dès l’entrée, l’inscription gravée dans la pierre et dont les directeurs du musée ont, parait-il, refusé l’effacement, donne le ton. Le cloître est superbe, les salles, très classiquement muséales, sont ornées de photos anciennes de fouilles au dessus des vitrines. La première surprise est que les fiches historiques présentant chaque période, très bien rédigées, n’existent que jusqu’en 1550 avant J.-C., soit l’époque où la terre de Canaan devient province égyptienne. Pour les périodes suivantes, silence, censure, rien qui puisse mettre en question l’histoire officielle du pays, il n’y a plus que des notices sur les objets, mais aucune mise en perspective historique et sociale : on a l’impression que, plutôt que de répéter le discours officiel convenu, les responsables du Musée ont préféré se taire, et ce silence est tonitruant. Peu de ‘Judaïca’ militantes ici (la plus ancienne est l’inscription de Theodulos, 1er siècle avant J.-C.; les autres commencent au 3ème siècle de notre ère), mais une importante collection d’antiquités des divers peuples de la région, continuant avec Byzance, l’Islam et les Croisades.

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Voici donc quelques objets que j’ai trouvé remarquables. D’abord ce masque décoré de peinture et de pigments, provenant de la cave de Nahal Hemar dans le désert de Judée et datant du 7ème millénaire avant notre ère. Un masque similaire est actuellement montré au Musée d’Israël dans l’exposition sur les masques. Ce sont là parmi les premières représentations du visage humain, mortuaires ou cérémonielles, et on ne peut qu’être ému devant ces formes maladroites.

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Ensuite (chronologiquement), ce moule à déesse, fait pour reproduire à de nombreux exemplaires pour des pèlerins ce corps nu couronné de cornes, déesse sexuelle et fertile (fouilles de Nahariyya, 1900-1600 avant J.-C.).

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Puis cette plantureuse statue de l’Artémis d’Éphèse, assez similaire à celle que j’ai vue à Naples à Noël : il semblerait que la déesse ne soit pas dotée d’une pléthore de seins, à téter ou à caresser, comme les intégristes chrétiens des premiers siècles ont voulu le faire croire pour la stigmatiser, mais qu’elle soit ornée de pendants en ambre.

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Enfin, l’essentiel de la décoration du Palais d’Hisham, près de Jéricho (construit vers 740) est ici. Loin d’un islam rigoriste, les motifs chantent ici la joie de vivre, la sensualité, l’ivresse et le plaisir. Je me souviens dans l’Est de la Jordanie, dans le désert peu avant la frontière irakienne, d’une maison de campagne d’un émir ommeyade, Qasr Amra, où les fresques resplendissaient aussi de femmes nues lascives et d’échansons ivres. Belle époque… 

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