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Anthologie permanente : Etienne Faure

Par Florence Trocmé

Bonté des planches, c’est du théâtre,
je serai comme ça à son âge :
une vieille peau dans Paris avec un chapeau vert,
à ne plus reconnaître ses propres mains
pour faire un signe d’adieu, la caresse,
vieillie par des grimaces maintenant sincères,
la teinture et le fard des hommes qui réapparaissent
chaque soir derrière un manteau d’arlequin
non pas de verre, mais de velours rouge,
sur un plancher disjoint rapprochés des morts
— pauvres souffleurs — déclamant sous leur contrôle:
« Non, pauvre spectre, non, tant que la mémoire
habitera ce globe détraqué »
phrases de cire au matin disparues
quand l’acteur se suicide à même les planches
(c’est dans la pièce) ;
tous applaudissent, c’est la fin.
— Puis les morts se relèvent, bonté des planches,
ce soir encore saluent.
la durée du spectacle



Où les vieillards caducs assenaient déjà
il faut dormir, on attendait
un coin du jour avant de tirer le drap ;
tenant les morts pour confidents
avec qui parler.
Et dire qu’Apollinaire, ôtée la maudite espérance
de vie, Arthur l’aurait connu
— du moins eût-il fallu durer jusqu’à l’aube,
heure croisée des cris de coq et d’effraie.
La nuit n’a pas bougé, est-ce l’œil
qui discerne le trait, le même
par où le noir naguère rayé de craie
éclairait un peu
par progressive entrée de l’aube en matière
et substitue à l’éclair gris une clarté commune
de pâle clairvoyance, trop-plein
qui rien n’élucide. C’est le jour.
croisée des jours



Le temps travaille trop, on est déjà dimanche
ce matin en ouvrant la fenêtre,
il neige en silence, les rues sont d’antan ;
de la ville, la rumeur est absente,
c’est la neige, ou la nuit en son cœur qui l’interrompt
— ou la mort, insistante à sonner l’heure
qui ponctue plus sonore les rêves.
Tout remonte en mémoire, les petits vieux
revenus naguère estropiés, claudiquant,
plusieurs balles dans la peau, des idées
fixées désormais sur les hommes,
qui le dimanche à des poulbots sans église
tendaient des gâteaux, biscuits à la cuiller
trempés dans du vin, leur donnant
sans le savoir le goût du rouge.
Aidés d’un peu d’alcool ensuite ils mouraient
un après-midi dansant
entre les bras d’un fauteuil qui connut leurs étreintes
dimanche, entre deux guerres.
le goût du rouge
Étienne Faure, Vues prenables, éditions Champ Vallon, 2009, p. 17, 62 et 79.
Contribution de Tristan Hordé


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