Comme son titre l’indique, ce livre ne triche pas avec le temps, le corps vieilli, la fin, mais sans aucun épanchement lacrymal. Le poème liminaire avertit le lecteur : « C’est dit / on ne parlera plus d’elle / ni des visages sous terre / qui singent le sourire / L’innommable ici n’a plus sa place / Qu’on le laisse seul à son jeu / et seul inventer le décor de la fin » (p. 11). On connaît la poésie de Jean-Marie Barnaud, toute de simplicité et de ferveur. Ici, c’est surtout la simplicité, l’humanité, qui me touchent : le vers libre est direct, sans emphase : « passe ton chemin beauté » (p. 16).
L’âge venant, on fait les comptes, et ce n’est pas toujours glorieux : « Qu’a-t-on fait tous ces temps / On avait bien la tête quelque part / tandis qu’on jouait / à vivre » (p. 28) Mais ce n’est pas la tonalité dominante du livre, et cela ne se développe pas en une recherche du temps perdu. La mémoire a peu de place dans ces pages, aucun aspect testamentaire non plus, mais la surprise d’un « présent disjoint » dans le corps : « On croit qu’on vieillira doucement / qu’on finira sa course / à bout de souffle / Un filet d’eau / qui se perd dans le sable / Mais non / La bête de l’âge /vient d’un bond sur la scène » (p. 40). Cependant vieillir ne signifie pas repliement sur soi, réduction du monde au court périmètre du corps ou de la maison ; toute la deuxième partie du livre vise à dénoncer la « cruauté » dans le monde actuel, mais là encore avec une « parole sobre », consciente des limites de son pouvoir.
Les deux dernières parties développent une sorte d’apaisement, d’accord fragile avec le présent : la musique, la nature, la poésie, la caresse… Aucun optimisme béat ou stoïcisme fier, mais une forme d’acquiescementau devenir, sans arrière-monde. C’est bien le constat tranquille du dernier poème du livre : « Et le temps court devant / qui porte l’enfant d’Héraclite / A lui la royauté » (p. 73)
Contribution d’Antoine Emaz
Jean-Marie Barnaud
Fragments d’un corps incertain
75
pages - 15€ - sur le site de
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