Nous entamons notre dernier jour de visite à Shanghai. Nous devons partir en fin d’après-midi pour les montagnes jaunes au Sud. Nous décidons de passer nos dernières heures dans la vieille ville chinoise. En fait de vieille ville, ce quartier a été plutôt bien rénové. Beaucoup de vieux îlots d’habitation ont été remplacés par de grandes tours ou alors ont été rénovés à grands frais. Les lieux en ont sans doute perdu un peu leur côté pittoresque. Après le repas, nous allons visiter le célèbre jardin Yu. Ce lieu est un véritable havre de paix au cœur d’une métropole bruyante. Les jardins chinois sont une immense scénographie du monde et de la place de l’homme. J’apprécie l’ordonnancement subtil de ses allées, mais je ne peux m’empêcher de lui préférer les forêts primaires où la trace de l’homme se fait la plus discrète possible.
Le temps passe vite et nous devons filer vers la gare. Nous avons prévu un peu juste, ce qui nous a donné un peu de stress. Cette fois, nous avons réservé des banquettes molles, plus confortables et fidèles aux enseignements du Parti Mou. Nous ne sommes plus que quatre dans le compartiment. Avant de m’aliter pour écouter de la musique, je suis resté un peu pour observer nos deux compagnons de voyage. Nous allons passer près de 15 heures dans le même espace. Ce sont deux messieurs assez âgés dans des styles différents. Le premier avait un air… comment dire… assez candide. Il ne parlait pas, mais on voyait à son expression qu’il pensait des bêtises, comme disait Jules Renard. Le second en revanche avait un regard plus profond, comme le regard de ces brahmanes qui nous expliquaient les proverbes antiques avec un accent dans lequel roulaient les flots du Gange. Je sentais qu’il observait également mon visage à la recherche d’une quelconque connivence. Il me demanda dans un anglais hésitant mais très compréhensible ce que je recherchais dans ce voyage. Je réfléchis un instant à ma réponse en posant un regard absent sur l’horizon.
- J’ai rangé mon livre, la description, la tradition, l’autorité et j’ai pris la route pour découvrir moi même.
- Tu es jeune, me répondit-il, mais tu t’exprimes avec sagesse.
- C’est parce que nous sommes le 2 août, lui répondis-je. Je suis sage uniquement les jours pairs. Les jours impairs, je multiplie les conneries pour être sûr ne pas rater ma jeunesse.
J’ai bien sympathisé avec cet homme. Nous avons parlé du taoïsme en écoutant des chants traditionnels ouïghours une partie de la soirée grâces aux enceintes de mon Ipod. Quand le soleil a disparu derrière les déserts du Xinjiang, il est allé se coucher et je suis allé lire le Mahâbhârata en écoutant des ragas de Nikhil Banerjee.