Les montagnes du Golan, territoire syrien occupé par Israël il y a 42 ans, sont, à ma surprise un endroit riche en artistes du cru. Les 20 000 Arabes du Golan, druzes pour la plupart, sont répartis dans les cinq villages qui ont survécu à l’épuration ethnique de 1967 (120 000 habitants expulsés, 130 villages détruits et leurs terres données à des colons israéliens). Est-ce parce que le climat y est plus frais ? Est-ce parce que la résistance des Golanis à l’occupation est très forte et structurée ? En tout cas, on y rencontre de nombreux peintres et sculpteurs et la vie culturelle y est assez intense. Si beaucoup sont plutôt académiques, certains font des recherches très intéressantes.
Ayant acquis l’an dernier une photographie de Diala Mdah Halabi, je suis venu voir son travail, toujours construit sur la transformation de l’image, la disparition du corps derrière le voile, les déformations. Alors que ses photos noir et blanc évoquaient des encres romantiques, celles en couleur, que je découvre alors, sont plus sensuelles, plus riches d’émotion. Son mari Aimn Halabi est peintre (et sculpteur, voir ci-dessous); lui aussi semble inspiré par la même incertitude sur la matérialité du corps, cherchant à s’affranchir de sa formation académique. Il y a toute une fratrie de peintres et de sculpteurs autour d’eux (Randa Mdah, Akram Halabi…)
Un centre d’art à Majdal Shams, placé sous le patronnage de l’artiste syrien Fateh Mudarris et dirigé par le peintre et sculpteur Wael Tarabieh, regroupe beaucoup des artistes de la région. Le plus connu est sans doute le sculpteur Hasan Khater : une des facettes de son travail est représentée par les deux statues “patriotiques” ornant des places de la petite ville, qui commémorent le soulèvement de la région contre les troupes françaises du Mandat en 1925 : c’est évidemment un message à l’intention des occupants actuels, qui ne s’y sont pas trompés. Les Israéliens ont tenté de faire sauter à l’explosif une des statues, mais la charge était mal calculée et ils ont simplement blessé au ventre le héros tombé à terre (détail ci-dessus).
Mais Hasan Khater est un sculpteur plus moderne que ces deux compositions ne le laisseraient supposer. Dans le village voisin de Ma’sadé a lieu lors de ma visite la deuxième édition d’un festival de sculpture avec une dizaine d’artistes locaux, certains expérimentés, d’autres débutants en sculpture. Hasan Khater fait émerger un ordre géométrique de formes brutes et chaotiques. Autre contraste, Alaa Kanjar fait jaillir un monde grimaçant depuis une structure dure et pointue. La sculpture voilée d’Adal Shaar, à gauche, est douce et sensuelle, cependant que le même Aimn Halabi sculpte (à droite) un baiser fusionnel miné par des trous de foret qui vont le faire éclater. D’autres photographies sont sur ce site en arabe, ainsi qu’une vidéo avec une interview de l’organisateur du festival, Faried Alsaïd Ahmad.
Dans ce Golan oublié du monde, loin des stéréotypes et des schémas propagandistes, j’ai été heureux de découvrir une création vivace, parfois tâtonnante mais pleine de promesses.
Photos 1, 2 et 6 courtoisie des artistes; photos 4 & 5 provenant du site daliluk.com; photo 3 de l’auteur.