Quand on lui demandait le
genre de musique qu’il aurait aimé jouer, les chansons qu’il aurait aimé écrire, il pensait invariablement à Yves Simon. Au chanteur des années 70, précisait-il toujours, celui qui rêvait Juliet
dans les diabolos menthe, qui citait Polanski et Higelin dans une poignée de vers, celui qui posait en tee-shirt Jefferson Airplane sous sa vieille veste en jean. Celui, surtout, dont les mots,
les silhouettes et les visages familiers arpentaient les rues de son propre quartier : de Barbès à la place de Clichy, de la rue Clignancourt à la place des Abbesses, de Rochechouart à la
Goutte d’or. Dans ses chansons, il rêvait de New York et de Manhattan, mais il était de Paris. De Paris 75. Il chantait si bien cette ville : ses nuits, ses petits riens, ses passagers clandestins.
On lui avait dit aussi qu’il lui ressemblait. C’était surtout la pochette de Respirer, chanter... qui leur avait fait affirmer cela. La barbe sans doute. On trouve de ces ressemblances parfois... Ceci dit, depuis qu’il avait coupé ses cheveux, c’était quand même beaucoup moins net. Dommage. La comparaison
était plutôt flatteuse. Cette pochette d’un disque paru alors que lui ne marchait même pas encore, elle l’avait surtout conforté dans le sentiment que certaines de ces chansons lui parlaient
directement, tout bas dans le creux de son oreille. Elles étaient à lui. Il aurait aimé y vivre. "Raconte toi", lui intimaient-elles doucement...
Puis il y eut les années 80, quand le chanteur changea de vie pour devenir écrivain, chantre du mitterrandisme et intellectuel de salon. Moins rock’n’roll a priori. D’ailleurs, il arrêta de se
produire sur scène et chroniqua souvent à Libé.
Il lui conservait toutefois toute son affection. Et quand, bien des années plus tard, un certain Julien Baer sortit son premier album, il entendit dedans tout ce qui le fascinait tant dans ces
vieux vinyles achetés à dix francs chez Boulinier. Même timbre de voix, mêmes arrangements seventies mais enrichis de sonorités soul que son héros de Barbès avait, lui, peu explorées. La relève
était prête. Le public suivit peu.
Enfin, il y avait cette chanson. A une époque où Zelda évoquait bien plus un jeu vidéo que la femme tragique de Francis Scott Fitzgerald, il se serait bien vu
baptiser sa fille de ce beau prénom. Las ! Avant que l’éventualité se présente, celle qui fumait des Gauloises bleues avait changé de peau dans sa nuit américaine.
Alors, il jouait certains morceaux à la guitare, il y revenait souvent. Il avait tout de même encore un peu de mal avec les arpèges de Raconte toi…
Yves Simon, lui, avait finalement sorti un disque décevant à la fin des années 90. Un objet trop chic, trop clinquant, à la production déjà démodée. On avait dit ensuite qu’il devait tourner un
long métrage avec une belle actrice à la voix rauque. Trente ans plus tôt, il chantait "la Dorléac". A l’orée du siècle, il devait filmer "la Mouglalis". Rien ne vint. Jusqu’à ces jours-ci…
*
* Le nouveau disque d’Yves Simon s’intitule Rumeurs. Il est sorti le 1er octobre.
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