L’avantage d’avoir à écrire régulièrement des articles pour un hebdomadaire est de se contraindre à pratiquer l’exercice de la concision, tout en cherchant les quelques mots qui résument. Je m’étais habitué aux rendez-vous écrits réguliers dans cet espace du Monde, mais l’intérêt des pages que l’on contrôle, est de pouvoir y écrire comme l’on aime, dans la distance et le souffle dont on est capable, sur le moment. J’apprends donc autrement !
Cela fait tellement longtemps que j’utilise le mot « Transylvanie » que j’en avais occulté le sens. Et pourtant ! Il s’agit bien de terres cultivables et de terres cultivées qui sont désignées ainsi. Des terres grasses pour les céréales ou pour le houblon, sur des plateaux ou dans les alentours des collines, dans la vision lointaine des neiges, des terres pour les bêtes et pour le foin. Aujourd’hui elles le sont aussi pour le maïs et la patate venus d’au-delà des mers.
Mais à la fin du XIIe ou au XIIIe siècle, puis quand ils se sont arc-boutés sur leurs villages contre les armées venues de Turquie, que cherchaient donc ces Saxons installés, sinon au-delà des forêts, du moins entre les forêts qui recouvraient une grande partie de la surface de l’Europe ?J’ai cherché des textes. J’en ai trouvé à satiété, des historiques, des architecturaux, pour ce dont j’avais besoin. Mais qui me racontera vraiment l’histoire de l’un d’entre eux, depuis sa Moselle natale, jusque cette terre lointaine et exposée ? Je veux dire avec des détails concrets qui témoignent de la vie quotidienne, des difficultés, des progressions sur le chemin de l’Est ; alors que nous avons tant de témoignages, de romans et de films sur la « frontière » américaine.
Je pense que mes amis roumains pourront combler mes lacunes. Mais je reste pour l’instant dans l’attente de textes que je puisse lire dans les langues que je pratique.
« Bien sûr nous eûmes des orages ». Je reprendrais volontiers les premiers mots de la chanson de Jacques Brel. Les vieux amants, ce sont ces hommes venus de l’Ouest amoureux de leurs paysages de l’Est, naturels et façonnés par l’homme, ce sont ces croyants ayant acquis une pratique directe du dialogue avec Dieu et cette adoration exclusive de leurs églises protégées qui remplissaient leurs cœurs et leurs corps.
Je les imagine. Je ne peux que les imaginer. Et je croise pourtant les derniers amants en constatant que plus de 700.000 ont abandonné la terre où s’était joué cet amour tumultueux. 700.000 des 4.480.000 Aussiedler, germains, germanophones de retour, dans l’espace de cinquante années, de retour vers l’Allemagne moderne, elle-même fruit de fusions antérieures et diverses.
Qui me racontera alors le retour de ces Aussiedler dont certains naviguent de nouveau entre deux terres, rouvrant en été les maisons aux volets clos ? Y a t il un film, un roman, une pièce de théâtre qui seraient suffisamment évocateurs de ces colons à l’envers dont les objets gisent ça et là dans des collections privées ou semi-publiques ?
Toutes ces vaisselles, ces gilets brodés, ces blouses, ces céramiques, ces pendules et dans le bas côté de l’église de Sighisoara, ces cahiers d’écoliers, ces cartes de membres de sociétés de chasse, ces coffres aux serrures forgées…Comme des navires échoués dont personne ne tient vraiment compte ? Et ces tableaux indiquant les prières de la semaine. Et ces tapis turcs, témoignant beaucoup plus d’une fascination que d’un trophée.
Cela ne fait que huit jours depuis mon retour. Mais ce naufrage là est encore dans mes yeux. Dans mes yeux et dans mes oreilles, aussi, grâce à ceux qui m’ont raconté cette terre autrement : des Saxons, des hybrides, des anglais qui s’appliquent à relier un territoire où des migrants se sont installés pour durer à d’autres migrations plus rapides, celles des touristes qui voudraient bien comprendre, sentir, goûter, ouvrir les yeux.
Je déplie une des cartes qui a été éditée en 2007 sous l’égide de Sibiu, capitale européenne de la culture. « Kulturweg Samuel von Brukenthal » : de Sibiu, en passant par Nocrich ou Hosman…Un palais du baroque tardif à Sibiu et une résidence d’été à Avrig… et à l’arrière plan, la silhouette de Maria Therasa qui touche l’Europe d’Est en Ouest.
Je commence à rêver.Allez, qui va me raconter l’histoire ?
Photographies : Hosman