Assis dans le plus gros manège appartenant au peuple québécois, j’ai les orteils bien crampés au fond de mes souliers. Une main agrippée à la table en face de moi, l’autre à ma bière, j’ai peur. Mes yeux fixent l’horizon; il disparaît avec une régularité inquiétante au bas de la fenêtre, me laissant comme image, un ciel gris menaçant. Quand il réapparaît, c’est pour disparaître à nouveau, comme par un insidieux tour de magie, dans le haut de la fenêtre, me laissant l’illusion épouvantable que nous renversons dans la mer en furie. Nous sommes passagers du Camille-Marcoux; un vieil assemblage de plaques d’acier rouillées, qui ne tiennent que par les soudures et les multiples couches de peinture, appelé traversier.
Bateau moderne jadis, brise-glace par surcroit, équipé de stabilisateurs l’empêchant de trop tanguer par mauvais temps, pour ne pas que les lourds fardiers se déplacent en fond de cale, il est devenu, avec l’usure du temps, additionné d’eau salée si corrosive, un navire usé qui a fait son temps. Cet été, il n’a plus de stabilisateurs, donc danger par mauvais temps.
Ce samedi 25 juillet, la tempête s’exprime par de forts vents de nord-est et des rafales à glacer le sang. Presque tous les passagers sont malades. Une dame qui s’est penchée pour prendre quelque chose dans son sac a renversé avec sa chaise.
Ne voulant surtout pas être prophète de malheur, une décision politique s’impose, avant qu’un accident regrettable arrive. Le temps semble venu de mettre ce bâtiment au rancard. Un traversier de ce type ne se remplace pas en criant morue.
Soixante et un dollars pour un tour de manège de ce genre, ce n’est pas donné.
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