Pour ce cinquième billet de la série d'articles reprenant
des écrits de l'égyptologue belge Jean Capart, que j'ai voulue, en guise d'hommage à sa personnalité, vous donner à lire pendant mes absences estivales, série pré-programmée donc, et
initiée, souvenez-vous, le mois dernier, j'ai pensé aujourd'hui, ami lecteur, vous livrer quelques réflexions en
introduction à un chapitre qu'il a intitulé "Problèmes d'esthétique égyptienne" publié dans un ouvrage de 1931, qui constituait en fait la retranscription de conférences qu'il avait
prononcées aux Etats-Unis durant l'hiver 1924-1925.
Dès qu'on se met à l'étude attentive de l'art égyptien, on découvre un certain nombre de problèmes qui se posent impérieusement et dont la solution est indispensable
pour apprécier les oeuvres pharaoniques. En effet, il faut bien se garder de croire que la production des vieux artistes de la Vallée du Nil peut être considérée avec nos idées esthétiques
modernes.
Il nous est relativement facile de déterminer quelles sont les oeuvres qui nous plaisent le plus, celles qui répondent le plus aisément à notre sentiment du beau. De là,
à vouloir déterminer l'état d'âme de leurs créateurs et raisonner leurs productions comme on le ferait pour un artiste contemporain, il semble qu'il n'y ait qu'un pas. C'est une profonde erreur
et, dès qu'on l'a reconnue, on ne peut s'empêcher de sourire à la lecture de certains commentaires publiés sur les oeuvres capitales de l'art égyptien. (...)
Commençons par constater ceci : suivant toute apparence, nous ne possédons aucune oeuvre qui appartienne, à proprement parler, à la période de formation de l'art
égyptien. Plusieurs fois, au cours de l'histoire, nous pouvons suivre la décadence de cet art. A chaque période où l'empire égyptien a été secoué jusqu'en ses fondements par des invasions
étrangères, les traditions sont ébranlées. Dès que la restauration est assurée, les rois veulent rendre à l'art toute sa splendeur. Ils ne recréent pas un art nouveau; ils vont chercher leurs
modèles aux plus anciennes périodes de la civilisation pharaonique.
Je ne voudrais pas que vous puissiez croire, d'après cela, que l'art égyptien, à toutes ces grandes époques, soit resté immuable. Sur un fond commun de principes
invariables, reprenant toujours les mêmes thèmes, les artistes ont cependant réussi à donner à leurs oeuvres un accent qui permet de les classer généralement sans trop de difficultés. Mais ce
qu'il importe de bien comprendre c'est que, jusqu'à présent, on n'a guère découvert de monument qui appartienne à cette période de recherche, probablement très longue, pendant laquelle les
Egyptiens se livraient aux expériences nécessaires avant d'établir les principes fondamentaux auxquels toutes leurs créations artistiques, pendant des milliers d'années, allaient être
exceptionnellement fidèles.
Notre ignorance des origines de l'art va de pair avec notre ignorance des premiers temps de la royauté d'Egypte. Pour nous, le rideau se lève au moment
où Ménès réunit sous son sceptre les royaumes de Haute et Basse-Egypte, ce qui, aux yeux des Egyptiens lui méritera d'être mis au premier rang des innombrables pharaons qu'ils avaient
classés en trente dynasties.
(Capart : 1931, 51-4)