Le meilleur est toujours pour la fin, dit-on. C’est peut-être la « morale » de cette délicieuse « Conversation à bord du Titanic lors de son naufrage entre Sir John Jacob Astor et son coiffeur » que rapporte Gert Hofmann (Ed. Actes Sud). N’y voyez de ma part aucune leçon, aucune analogie d’aucune sorte, aucun prêche pour quelque paroisse que ce soit. Je suis juste à m’amuser d’un rien. A me reluquer dans la glace, à me poudrer la moustache. A m’étourdir de cette musique que je ne reconnais pas… « Après que le Titanic eut heurté un iceberg - à minuit moins vingt, le 14 avril 1912 - non loin de la côte de Terre-Neuve, le propriétaire en titre du géant de l'océan, John Jacob Astor, qui avait toujours certifié que son bateau était insubmersible et ne l'avait pas ménagé dans sa course à travers l'Océan, eut naturellement fort à faire. Après s'être rendu, en quête d'un coffret à bijoux - le bateau s'était déjà couché sur le côté et son célèbre orchestre avait joué pour la dernière fois -, dans sa cabine de luxe puis à la salle à manger, dans la salle des machines et aux canots - là il avait encore expliqué, dans un petit discours improvisé, que l'eau, qui ne cessait de monter, ne venait pas d'une brèche mais du robinet principal mal fermé du bain turc et que son bateau était réellement insubmersible -, il se retrouva, vers deux heures du matin, sur le pont supérieur, et comme il passait devant le salon de coiffure, il songea : Du calme, voyons, du calme ! Le comble serait que cette apparence de voie d'eau ne se révèle nullement trompeuse au bout du compte et que la restauration de l'ancienne réalité, fixée par l'habitude et confirmée par l'expérience, s'avère finalement impossible. (Combien de fois, par exemple, avant de pendre de guingois, les plafonniers n'avaient-ils pendu droit !) Le comble, pensa-t-il et, voyant qu'il y avait encore de la lumière dans le salon, il entra. Bonsoir, dit son coiffeur, Weikman, qui avait toujours passé le plus clair de son temps ici et s'employait présentement à rafler et à fourrer encore dans ses poches, pour l'emporter éventuellement dans l'autre monde, tout ce qui lui paraissait indispensable dans celui-ci. Bonjour, Weikman, dit John Jacob. Et s'avisant soudain que le coiffeur avait su l'aider plus d'une fois aux heures sombres, le détournant par son bavardage de ce qui l'oppressait justement, il ajouta, à sa propre surprise : S'il vous plaît, Weikman, rasez-moi. Maintenant ? lança Weikman dont le genre artiste ne tenait pas uniquement à ses cheveux bouclés et qui se considérait effectivement comme tel. Je veux dire... Oui, maintenant, dit John Jacob en laissant courir son regard à la ronde, sur le salon déjà pas mal amoché. L'habillage de bois précieux, qui contribuait depuis toujours à l'harmonie de ce local, avait gonflé et pris du jeu, s'était même détaché par endroits, laissant apparaître ça et là une paroi de béton armé, hideuse, noircie de fumée, dont nul, naguère, n'eût soupçonné l'existence. Et la saleté partout, cette saleté ! Installée au départ, sur ordre de John Jacob, au beau milieu du salon de coiffure, même l'agave était sale, et ses longues feuilles roides et lustrées pendaient lamentablement. C'était effectivement à croire qu'il n'avait pas été fait bon usage des matériaux onéreux employés pour décorer ce salon, que ce qui se trouvait sous la tapisserie de velours et l'habillage de bois n'avait fait qu'attendre la première occasion venue pour surgir au grand jour. On ne pouvait pas encore parler de dévastation totale, certes, mais ça en prenait le chemin. Et ce qu'il y avait de plus grave : le salon de coiffure était également inondé, quand même l'eau y montait évidement moins haut que dans la salle des machines. En somme, demanda le coiffeur qui avait suivi les regards et les pensées de John Astor, d'après vous, il n'est pas trop tard pour se raser ? » C’est une question d’importance, vous ne trouvez pas ? A moins que vous ne soyez égaré, monsieur le lapin, déclara Alice en cherchant dans ses poches de quoi lui rendre la monnaie. Elle pouvait chercher longtemps…
Le meilleur est toujours pour la fin, dit-on. C’est peut-être la « morale » de cette délicieuse « Conversation à bord du Titanic lors de son naufrage entre Sir John Jacob Astor et son coiffeur » que rapporte Gert Hofmann (Ed. Actes Sud). N’y voyez de ma part aucune leçon, aucune analogie d’aucune sorte, aucun prêche pour quelque paroisse que ce soit. Je suis juste à m’amuser d’un rien. A me reluquer dans la glace, à me poudrer la moustache. A m’étourdir de cette musique que je ne reconnais pas… « Après que le Titanic eut heurté un iceberg - à minuit moins vingt, le 14 avril 1912 - non loin de la côte de Terre-Neuve, le propriétaire en titre du géant de l'océan, John Jacob Astor, qui avait toujours certifié que son bateau était insubmersible et ne l'avait pas ménagé dans sa course à travers l'Océan, eut naturellement fort à faire. Après s'être rendu, en quête d'un coffret à bijoux - le bateau s'était déjà couché sur le côté et son célèbre orchestre avait joué pour la dernière fois -, dans sa cabine de luxe puis à la salle à manger, dans la salle des machines et aux canots - là il avait encore expliqué, dans un petit discours improvisé, que l'eau, qui ne cessait de monter, ne venait pas d'une brèche mais du robinet principal mal fermé du bain turc et que son bateau était réellement insubmersible -, il se retrouva, vers deux heures du matin, sur le pont supérieur, et comme il passait devant le salon de coiffure, il songea : Du calme, voyons, du calme ! Le comble serait que cette apparence de voie d'eau ne se révèle nullement trompeuse au bout du compte et que la restauration de l'ancienne réalité, fixée par l'habitude et confirmée par l'expérience, s'avère finalement impossible. (Combien de fois, par exemple, avant de pendre de guingois, les plafonniers n'avaient-ils pendu droit !) Le comble, pensa-t-il et, voyant qu'il y avait encore de la lumière dans le salon, il entra. Bonsoir, dit son coiffeur, Weikman, qui avait toujours passé le plus clair de son temps ici et s'employait présentement à rafler et à fourrer encore dans ses poches, pour l'emporter éventuellement dans l'autre monde, tout ce qui lui paraissait indispensable dans celui-ci. Bonjour, Weikman, dit John Jacob. Et s'avisant soudain que le coiffeur avait su l'aider plus d'une fois aux heures sombres, le détournant par son bavardage de ce qui l'oppressait justement, il ajouta, à sa propre surprise : S'il vous plaît, Weikman, rasez-moi. Maintenant ? lança Weikman dont le genre artiste ne tenait pas uniquement à ses cheveux bouclés et qui se considérait effectivement comme tel. Je veux dire... Oui, maintenant, dit John Jacob en laissant courir son regard à la ronde, sur le salon déjà pas mal amoché. L'habillage de bois précieux, qui contribuait depuis toujours à l'harmonie de ce local, avait gonflé et pris du jeu, s'était même détaché par endroits, laissant apparaître ça et là une paroi de béton armé, hideuse, noircie de fumée, dont nul, naguère, n'eût soupçonné l'existence. Et la saleté partout, cette saleté ! Installée au départ, sur ordre de John Jacob, au beau milieu du salon de coiffure, même l'agave était sale, et ses longues feuilles roides et lustrées pendaient lamentablement. C'était effectivement à croire qu'il n'avait pas été fait bon usage des matériaux onéreux employés pour décorer ce salon, que ce qui se trouvait sous la tapisserie de velours et l'habillage de bois n'avait fait qu'attendre la première occasion venue pour surgir au grand jour. On ne pouvait pas encore parler de dévastation totale, certes, mais ça en prenait le chemin. Et ce qu'il y avait de plus grave : le salon de coiffure était également inondé, quand même l'eau y montait évidement moins haut que dans la salle des machines. En somme, demanda le coiffeur qui avait suivi les regards et les pensées de John Astor, d'après vous, il n'est pas trop tard pour se raser ? » C’est une question d’importance, vous ne trouvez pas ? A moins que vous ne soyez égaré, monsieur le lapin, déclara Alice en cherchant dans ses poches de quoi lui rendre la monnaie. Elle pouvait chercher longtemps…