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Quelle trace Michel Rocard laissera-t-il?

Publié le 31 juillet 2009 par Bernard Girard

Quelle trace Michel Rocard laissera-t-il?

crédit photo : wikipédia

Michel Rocard restera sans doute comme l'une des figures majeures de notre monde politique de ces cinquante dernières années. Ses dernières mésaventures, les différentes missions que lui a confiées Nicolas Sarkozy, bien loin de trancher avec ses activités précédentes, ne font que confirmer quelques uns des traits de cette personnalité aussi exaspérante qu'hors du commun.
On sait sa relation difficile, contradictoire avec la gauche. Il se dit de gauche, il s'est surtout situé en marge, du coté de l'extrême-gauche dans les années soixante, ce qui l'a amené à dire beaucoup de bêtises (il faudrait relire ou écouter ce qu'il a pu écrire et écouter à ce moment là), puis, depuis quelques décennies du coté de la droite ou, plutôt, à l'entendre, du coté des experts (mais n'est-ce pas souvent la même chose?).
On connaît également sa haine quasi pathologique à l'égard de François Mitterrand, haine qui transparaissait dans son dernier livre, Si la gauche savait, au point de mettre mal à l'aise le lecteur le mieux disposé à son égard.
On connaissait moins son goût pour les causes bizarres, comme les pôles Arctique et Antarctique dont il s'est occupé à la demande de Nicolas Sarkozy.
Ses dernières propositions sur la taxe carbone et les commentaires dont il les a accompagnées, ont montré d'autres facettes plus constantes de sa personnalité, à commencer par son goût pour la fiscalité, qu'il a contribué à augmenter de manière massive avec la CSG et pour l'innovation en la matière : la taxe carbone en est une comme l'était la CSG.
On retrouve d'ailleurs dans l'une et l'autre les mêmes principes à l'oeuvre :
- le souci de simplification administrative dans la collecte d'un impôt que l'on souhaite rendre invisible : la CSG a amorcé le tournant vers le prélèvement à la source, la taxe carbone sera prélevée au moment de l'achat,
- la volonté d'élargir l'assiette à l'ensemble des revenus : la CSG est perçue sur les revenus d'activité, mais aussi sur les allocations chômage, les pensions, les revenus du capital. La taxe carbone sera un nouvel impôt sur la consommation,
- l'effritement de la progressivité de l'impôt : la CSG est un impôt proportionnel et non pas progressif, la taxe carbone touchera tout le monde et frappera plus durement les plus modestes dont les consommations d'énergie pèsent plus lourd dans les budgets,
- la volonté, enfin, de réduire la solidarité aux plus modestes : eux seuls échappent à la CSG, seul le quart le plus pauvre des Français échapperait à la taxe carbone.
La lutte contre les inégalités n'est manifestement pas une priorité de la philosophie fiscale de Michel Rocard : les classes moyennes sont les premières victimes de ses réformes. Ce qui en fait un homme de gauche un peu à part.
Ses commentaires de ces derniers jours ont, par ailleurs, confirmé l'une de ses stratégies politiques les plus constantes, ce que j'appellerai la réforme hypocrite ou, plutôt, la réforme par l'illusion.
On avance derrière un nuage de fumée. On nous explique aujourd'hui que les ménages les plus modestes s'en tireront mieux que les autres. Mais on prend pour nous l'expliquer des exemples qui frappent mais ne veulent rien dire : "Une famille aisée en milieu rural pourrait acquitter plus de 300 euros quand un ménage modeste en ville n'acquitterait que 55 euros", indiquait mardi dernier Le Monde. Comparaison qui n'a évidement aucun sens : une famille rurale, qu'elle soit aisée ou modeste, se déplace plus et dépense donc plus de carburant qu'une famille urbaine. Ce sont les comparaisons entre familles comparables qui auraient eu du sens…
On nous explique qu'il s'agit de protéger l'environnement alors même que l'une des conclusions les plus solides de la théorie économique est la faible élasticité de la consommation d'énergie. Les gens qui doivent faire trente kilomètres en milieu rural pour aller travailler vont-ils se mettre au chômage pour consommer moins d'essence? Va-t-on cesser de se chauffer pour lutter contre le réchauffement climatique? En matière énergétique, la demande diminue beaucoup moins vite que n'augmente le prix. On n'obtiendra qu'une seule chose : la pression fiscale pèsera davantage dans les budgets des ménages. Quant à l'utilisation verte de ces recettes… le moins que l'on puisse dire est que le scepticisme s'impose. Qui a oublié le sort de la vignette automobile? Cet impôt finira par remplir les caisses de l'Etat et servira à boucher les trous du budget, contribuera à rembourser la dette…
On construit une augentation progressive : la taxe carbone augmentera de 5% par an, pour aboutir à 100 euros la tonne de CO2. On avait fait la même chose avec la CSG : d'abord indolore, elle ne devient douloureuse que lorsqu'il est impossible de revenir dessus.
On évite d'en parler de manière trop précise. Michel Rocard regrettait il y a quelques jours que l'on ait paniqué les Français, ajoutant à propos des chiffres cités par Le Monde dans son style inimitable : "C'est une évaluation probabiliste derrière laquelle nous n'avons pas de calcul scientifique, de ce que pourrait coûter, pour un ménage moyen... C'est un chiffre qui ne vaut pas grand-chose." Mais si nous n'avons pas de chiffres, comment peut-on juger de l'impact de la mesure? de sa justice?
Tout cela me rappelle une interview sur les réformes qu'il avait donné, avec quelques autres anciens premiers ministres, à Sociétal en 2001. Le thème était la réforme et la manière de la conduire. Il y insistait sur le rôle de l'illusion et racontait comment il a fait passer l'intéréssement en utilisant "une dénomination volontairement absconse, le "retour collectif de modernisation" qui permettait de conserver l'essence du dispositif sans l'affubler d'une étiquette provocatrice." Cela vous rappelle quelque chose?
Il y insistait également sur la nécessité de l'observation de longue durée : ce que l'on annonce aujourd'hui n'est que le début d'une longue histoire… Pardi.


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